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« Passengers », une fable écologique pour imaginer une planète durable

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La terre vue de l’espace.
Christian Fagerstrom/Flickr, CC BY-SA

Vincent Jost, Université de Strasbourg

Un vaisseau spatial rempli de passagers file à travers l’espace. Est-ce là le destin de l’humanité que de quitter la Terre pour aller vers d’autres planètes et y construire de nouveaux mondes ?

Passengers est un film de science-fiction (sorti en 2017 en DVD et Blu-Ray). Les 5 000 passagers sont endormis pour le voyage, quand un incident intervient.

« Plongés dans un profond sommeil artificiel, Aurora et Jim se sont embarqués pour un très long voyage à bord du vaisseau Avalon qui les conduit vers une vie nouvelle sur une autre planète. Mais leurs modules d’hibernation les réveillent mystérieusement 90 ans avant qu’ils n’atteignent leur destination. Ils doivent désormais accepter l’idée de passer le reste de leur existence à bord… »

Ce film aborde de nombreux thèmes, explorant au passage la religion et la philosophie… mais il en est un autre qui donne matière à réflexion : le développement durable, abordé de manière récurrente.

Le 24 décembre 1968, alors qu’Apollo 8 contourne le satellite de la terre, les astronautes assistent à un lever de Terre sous la forme d’un croissant. Biosphère 1 vient d’apparaître,

« avec comme dominantes, le bleu des océans et le blanc des nuages, avec des forêts tropicales luxuriantes et ses montagnes dont le relief se détachait clairement, ce qui tranchait avec le gris morne et mort de la surface de notre satellite. Biosphère 1 est notre maison, c’est notre vaisseau spatial. »

Plus récemment, Thomas Pesquet est revenu de l’espace avec la « conscience que la planète est vraiment un joyau ».

Un « vaisseau terrestre »

Cette notion de « vaisseau terrestre » est mise en avant par Richard Buckminster Fuller à la fin des années 1960, lui même reprenant l’idée d’Adlai Stevenson qui déclare dans un discours aux Nations Unies en 1965 que

« Nous voyageons ensemble, passagers d’un petit vaisseau spatial, tributaires de ses réserves d’air et de sol, notre sûreté dépendant de la sécurité et de la paix terrestres, préservés de l’anéantissement uniquement par les soins, le travail et l’amour que nous prodiguons à notre frêle esquif et, dois-je le dire, les uns aux autres. »

En 1986, Albert Jacquard ajoute que les ressources nécessaires pour vivre ont été embarquées lors de sa fabrication dans la nuit des temps. Il nous reste un très long voyage à parcourir sans autre recours que de faire avec ce que nous disposons : des ressources, des idées et surtout de la bonne volonté.

Dans le film, Avalon, qui est le nom du vaisseau, est aussi, dans la mythologie arthurienne, une île où le roi Arthur est emmené après sa dernière bataille. C’est aussi le lieu où aurait été forgée l’épée Excalibur et où aurait vécu la fée Morgane. Bref, c’est un lieu magique source de puissances et de changements mais dans lequel se trouve celui qui dispose du pouvoir d’agir pour construire un monde nouveau. Dans Passengers, ce changement nous est donné par l’architecture d’ensemble du vaisseau. Pour que la gravité soit maintenue, le vaisseau est en rotation autour de son axe principal et entraîne avec lui trois branches dans lesquelles sont installés les logements et les personnels… Ces éléments sont une illustration du développement durable qui doit nous emporter loin à l’avenir et qui repose sur trois piliers : l’environnement, la société et l’économie. Cet îlot de vie dans l’espace qui traverse l’univers demande de maintenir l’équilibre de ces trois piliers. Et pour cela, le plus simple est de contrôler la population pour qu’elle n’augmente pas au-delà des ressources disponibles.

L’affiche du film.
Allociné

Des ressources limitées

Cela rejoint les idées de Malthus : plus les descendants sont nombreux et plus il faut partager les ressources et les richesses. Mais alors, qui sont les 5 000 dormeurs présents dans le vaisseau ? Sont-ils ceux qui n’ont pas encore ouvert les yeux sur la situation que vit le monde fonçant à travers l’univers ? Sont-ils ces enfants de l’humanité à venir issus des deux premiers êtres humains présents dans le vaisseau, donc les générations futures ? En tout cas, ce sont ces générations futures qui mettront en œuvre les idées de nos deux héros et qui pourront bénéficier des ressources non utilisées.

Les ressources naturelles dont nous disposons sont présentes en quantités limitées et nous devons apprendre à ne pas les épuiser. Selon notre mode de vie et notre consommation quotidienne, il faudrait plusieurs terres pour répondre à nos besoins. Pourtant, malgré cela nous continuons à prélever toujours plus dans les réserves de notre planète jusqu’à dépasser ce qu’elle peut produire. Le jour du dépassement est la date de l’année à partir de laquelle la terre vit sur ses réserves et cette date se rapproche de plus en plus du 1ᵉʳ janvier.

Le 8 août 2016, la Terre est entrée dans le jour du dépassement et à compter de cette date, l’humanité a exploité les ressources que la Terre peut produire sur une année. De ce fait, les ressources naturelles utilisées jusqu’à la fin de l’année 2016 ont été prises à crédit sur l’année suivante. Et l’humanité a de plus en plus besoin de ressources. En 1961, 75 % des ressources produites par la terre en un an étaient exploitées et utilisées. Mais avec le temps, l’exploitation des ressources augmente pour répondre aux besoins et en 2013, 155 % de ce que la nature peut produire est exploité tous les ans. Dans le film, il en est de même : on apprend que plusieurs mondes ont été colonisés par les habitants de la terre car les ressources terrestres ne répondaient plus aux besoins des populations. Dans la fiction, les humains du futur peuvent peut-être partir vers d’autres mondes, mais sur notre planète, nous ne pouvons pas partir et nous devons nous contenter de ce dont nous disposons dans notre espace limité et fermé.

Reproduire les écosystèmes

Le vaisseau montre que les hommes peuvent vivre dans un milieu fermé dont les besoins du quotidien sont assurés par des ressources qui se renouvellent de manière dynamique au sein d’écosystèmes. Le projet Biosphère 2, lancé en 1987, cherchait à comprendre le fonctionnement des écosystèmes écologiques et à les reproduire de manière artificielle. Pour ce projet, des scientifiques ont construit une série de serres dans lesquelles ils ont reproduit différents écosystèmes terrestres pour mieux les comprendre et les maîtriser. Pourtant, le projet a été décrié, taxé de « pseudo science », il a échoué, et aujourd’hui c’est une attraction touristique ».

Biosphère 2 tentait de comprendre comment nous pouvons vivre avec les éléments dont nous disposons. Actuellement, la Chine se prépare à tester ce type de logique de survie dans un milieu clos afin de préparer les futurs projets d’une présence sur la Lune.

Mais rien n’est gagné : pour Biosphère 2, il fallait apporter aux personnes résidant sur place ce qui leur manquait : elles étaient donc toujours dépendantes d’un « autre monde ». À l’échelle de la planète, nous jouons avec le feu. Les ressources s’épuisent, les écosystèmes sont déséquilibrés et le tout risque de s’effondrer rapidement. D’autant plus rapidement que le réchauffement climatique bouleverse lentement mais sûrement et de manière inexorable nos milieux de vie.

Une serre de Biosphère 2.
Wikipedia

Dans le film, l’incendie dans le moteur du vaisseau est l’illustration de ce déséquilibre qu’il est impératif de contenir. La lutte contre ce réchauffement dans le moteur du vaisseau Avalon c’est la lutte contre le réchauffement climatique dans le vaisseau Terre. Une lutte qui s’exprime à travers les différents marqueurs du temps dans le film.

Le film aborde en effet plusieurs temporalités, plusieurs futurs emboîtés les uns dans les autres. C’est d’abord le futur de l’humanité dans lequel le film nous plonge. C’est aussi le futur des héros – limité à la durée de la vie humaine – et le présent fait de répétitions quotidiennes. Le moment du repas est d’ailleurs emblématique de la société de consommation ! C’est enfin le futur de la mission qui se projette dans 120 ans, sachant que nous en voyons les débuts. Ces 120 ans de la durée du voyage correspondent en fait au temps dont nous aurions besoin pour changer nos habitudes de consommation dans le cadre d’une économie circulaire.

The ConversationLe film Passengers nous entraîne donc vers un futur où la Terre ne suffit plus aux hommes. L’humanité quitte un monde surexploité, qui déséquilibre son environnement et finalement détruit son vaisseau Terre pour en atteindre un nouveau, plus équilibré dans le respect du développement durable. Mais peut-être est-ce là une utopie que seuls les films de science-fiction nous permettent d’atteindre !

Vincent Jost, Chargé de cours en histoire, Université de Strasbourg

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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