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Vu du Moyen Âge : l’université, la plus médiévale des institutions françaises !

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Illustration du XIVᵉ siècle, où l’on voit Barthélémy l’Anglais, franciscain très docte venu d’outre-Manche donner un cours à la faculté de médecine de l’université de Paris.
BnF

Maxime Fulconis, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

« L’Italie a le pape, l’Allemagne a l’empereur, mais la France a l’Université »

(Proverbe médiéval, années 1220)

2,6 millions d’étudiants ont rejoint lundi dernier les bancs des amphis des universités françaises : un chiffre qui augmente d’environ 2 % chaque année depuis maintenant près de vingt ans. L’université est généralement vue comme le creuset des innovations de demain, comme une institution tournée vers le futur, mais elle est également l’un des héritages toujours vivants du Moyen Âge ayant le mieux conservé ses traits d’origine.

La réforme LMD, vieille de 800 ans

Au milieu des années 2000, la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat, qui sanctionnent respectivement un niveau bac +3, +5 et +8) a voulu clarifier la hiérarchie des diplômes universitaires français et les harmoniser avec les standards internationaux. Cette réforme n’a en réalité fait que confirmer, avec de légères différences, le système de collation de grades universitaires qui s’est progressivement mis en place au XIIIe siècle.

Au cours du XIIe siècle, les écoles se multiplient dans certaines grandes villes d’Europe. Mais comme chacune disposait de sa propre organisation, les maîtres et étudiants prirent conscience de la nécessité de se regrouper, au sein de chaque ville, dans une corporation unique dotée de règles unifiées. Lorsque les premières universités se structurent au début du XIIIᵉ siècle, leurs statuts décrivent ainsi à dessein un système très précis de diplômes que l’étudiant doit successivement obtenir.

Après une première formation reçue dans de petites écoles de grammaire ou auprès d’un précepteur particulier, les jeunes étudiants âgés de 12 à 15 ans sont contraints de devenir clercs pour pouvoir rentrer à l’université. Les femmes en sont donc structurellement exclues et il faut attendre 1861 pour voir la première femme fréquenter les bancs d’une université en France.

Au bout de quelques années d’étude, l’étudiant pouvait obtenir le baccalauréat après examen. Muni de ce titre, il assistait le professeur et devenait le tuteur des étudiants plus jeunes, s’assurant qu’ils apprenaient et comprenaient bien leurs leçons. Cette pratique n’est pas sans rappeler l’habitude actuelle des universités de charger certains étudiants de Licence 3 ou de Master de missions de tutorat et de confier une part des Travaux dirigés à des doctorants.

La licence (licentia docendi) était obtenue après 6 à 8 ans d’études au sein de l’université. Il s’agissait théoriquement du seul diplôme reconnu par la société civile et attestait que son titulaire maîtrisait suffisamment les savoirs de la faculté pour exercer un métier les mobilisant, par exemple celui de médecin. S’il poursuivait ses études après la licence, l’étudiant pouvait obtenir la maîtrise (par exemple maître ès arts) et devenir un enseignant ordinaire au sein de l’université. Enfin, le doctorat constituait la plus haute distinction universitaire et permettait de jouir d’un grand prestige et des meilleurs postes au sein de l’institution. Baccalauréat, Licence, Master, Doctorat : au XIIIe siècle, le système actuel des diplômes universitaires est déjà mis en place dans ses grandes lignes !

Un calendrier universitaire aux allures familières

En ce qui concerne le calendrier, les vacances d’été étaient déjà quasiment les nôtres : l’année scolaire s’étalait d’octobre à juillet. Cette pratique avait toujours cours il y a moins d’une décennie, puisque l’année universitaire débutait encore en octobre. La volonté d’aligner le calendrier des universités avec celui de l’Éducation nationale est assez récente.

Comme c’est toujours le cas, l’année universitaire comptait deux semestres : le « grand ordinaire » qui allait du début d’octobre à Pâques (les « partiels » avaient lieu pendant le carême) et le « petit ordinaire » qui s’achevait en juillet.

Les universités furent organisées en facultés dès leur fondation. Si l’Université de Strasbourg comprend par exemple aujourd’hui une faculté de philosophie, de géographie ou de chimie, les universités médiévales comportaient généralement et au maximum cinq facultés. La faculté des arts, qui comptait le plus grand nombre d’étudiants, enseignait les sept arts libéraux (grammaire, rhétorique, dialectique ; géométrie, astronomie, arithmétique, musique) qui formaient à la logique et constituaient le socle commun de tout parcours universitaire. Existaient également les facultés de médecine, de droit civil, de droit canon (c’est-à-dire religieux) et de théologie.

Les prémices d’une liberté intellectuelle

Corporations spécifiques qui réunissaient les maîtres et les étudiants d’une ville donnée, les universités médiévales étaient libres de fixer leurs statuts et leurs programmes. Si les clercs veillaient strictement à ce qui pouvait être enseigné, les universités obtinrent au cours des siècles plusieurs privilèges des papes et des rois qui garantissaient leur autonomie. Un héritage qui perdure, puisque l’université est aujourd’hui en France la seule entité publique à être totalement indépendante. L’État n’a en principe pas de droit de regard sur ses programmes, ses approches disciplinaires, sa politique budgétaire ou son organisation interne. Si ces vieilles pratiques ont toujours cours, c’est que des générations de révolutionnaires puis de républicains ont considéré que l’université, en vertu du principe de liberté intellectuelle, devait être exemptée des règles qu’ils imposaient à absolument toutes les autres institutions publiques.

Le parcours universitaire au Moyen Âge.
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De la disputatio à la dissertation, de la glose au commentaire de texte

Alors qu’au Moyen Âge l’autorité intellectuelle était surtout reconnue à des textes écrits (textes des pères de l’Église, textes bibliques et de certains auteurs antiques), les examens étaient quant à eux oraux. Aujourd’hui, si la plupart des partiels, examens et concours universitaires sont écrits, les rattrapages, soutenances ou oraux d’examen conservent mémoire de la suprématie médiévale de l’entretien verbal.

La lectio était l’exercice de base, ainsi que le plus ancien. Il s’agissait de lire un extrait d’une autorité et de le commenter en recourant à ses connaissances et à sa logique. Il fallait présenter le plan de l’ouvrage commenté, son auteur et les grandes lignes de son propos. Puis, l’étudiant commentait ligne par ligne un extrait du texte. En guise de conclusion, il revenait sur les paradoxes et points problématiques soulevés par l’extrait étudié. On le comprend aisément, cet exercice n’est rien d’autre que l’ancêtre de notre commentaire de texte.

Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, la lectio donne naissance à la disputatio, aussi appelée « question disputée ». Une phrase ou quelques mots d’un texte donnaient lieu à une réflexion très libre et dialoguée entre plusieurs universitaires, qui mettaient ainsi à l’épreuve leur connaissance de la dialectique, de la logique et de la rhétorique. Avec le temps, l’énoncé tendit à être totalement forgé par le maître lançant la dispute, qui prenait également la parole pour conclure et donner si nécessaire raison à tel ou tel intervenant. Notre dissertation actuelle prenait peu à peu forme.

L’université entre ruptures et continuités

Sur ces nombreuses survivances médiévales au sein de l’institution universitaire, on peut poser des regards contraires. Certains comparent aujourd’hui l’institution à un vieux mammouth avant tout caractérisé par sa force d’inertie et qu’ils aimeraient, tout comme l’Éducation nationale, « dégraisser ». On peut aussi penser que l’une des innovations les plus originales du Moyen Âge fut également l’une des plus abouties. Certaines nouveautés ont un caractère si simple et essentiel qu’on ne peut que les améliorer sans remettre en cause leur principe fondamental : ainsi en va-t-il de la roue et sans doute de l’université.

The ConversationToutefois, l’institution chancelle aujourd’hui face au grand écart qui lui est imposé. D’une part, tous les hommes politiques vantent les vertus de l’innovation sur la croissance et parlent « d’économie de la connaissance », sans jamais prononcer le nom de l’université ou annoncer plus de moyens en sa faveur. D’autre part, les budgets alloués aux universités et à la recherche stagnent ou diminuent alors que le nombre d’étudiants a augmenté de moitié depuis 1990. Enfin, les deniers restants sont attribués en priorité aux sciences « dures », jugées les plus à même de générer brevets et retombées économiques. Tandis qu’en ce début de troisième millénaire l’université peine à former toujours plus d’étudiants avec toujours moins de moyens et que les lettres et sciences humaines semblent marquer le pas, méditons les paroles de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Maxime Fulconis, Doctorant à l’Université Paris-Sorbonne, (Ecole Doctorale Mondes Ancien et Médiévaux) , Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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