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La gestion va-t-elle disparaître des statistiques de l’enseignement supérieur ?

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Faculté de Droit, des Sciences Économiques… et de Gestion ( à l’Université de Rouen ).
Frédéric BISSON / Flickr, CC BY

Jean-Pierre Nioche, HEC School of Management – Université Paris-Saclay

Le secteur des formations de gestion, qu’on appelle aussi de « commerce », d’« administration des entreprises » ou de « management » est, en France comme dans tous les pays développés, un domaine majeur de l’enseignement supérieur. Il est aussi un champion français dans les classements internationaux.

Pourtant la Sous-direction des Systèmes d’information et des études statistiques (ci-dessous « SIES ») du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation lui dénie aujourd’hui le statut de secteur autonome. Ce changement devrait mobiliser les responsables d’écoles et de formations de management, qui n’en ont pas été informés.

Un secteur en voie de « dilution statistique »

Le secteur des formations de gestion, partagé à peu près pour moitié entre les universités et les écoles, a connu une forte croissance depuis cinquante ans. Malgré cela, il n’a jamais fait l’objet d’une catégorie définie de façon claire et stable dans les nomenclatures statistiques du ministère. Loin de porter remède à cette carence, le ministère s’oriente aujourd’hui dans la voie contraire, consistant à nier le problème. Certains de ses représentants annoncent ainsi la fin de l’identification du secteur de la gestion dans les statistiques officielles.

Dans Repères et références statistiques, la publication statistique annuelle la plus complète sur l’enseignement supérieur, les formations de gestion n’apparaissent pas comme une catégorie spécifique. Elles sont intégrées dans des regroupements aux périmètres et aux titres variés, alors qu’elles en sont toujours la partie majoritaire : « Sciences économiques et gestion », en incluant, ou pas, Administration économique et sociale (AES) ; « Sciences économiques » ; « Sciences économiques et AES » ; « Échanges » ; « Services ».

La gestion est aussi victime d’une incroyable différence de « granulométrie » selon les secteurs. RERS 2016 identifie 16 diplômés de BTS dans la spécialité industrielle « papier-carton » en 2015, mais pas les 143 000 étudiants en gestion dans les universités !

On ne trouve pas dans cette publication les informations indispensables à la compréhension globale du secteur que sont ses effectifs et le nombre annuel de diplômés, aux niveaux bac+2, L, M, et D, par types d’établissements.

Des « notes » de SIES, bien que limitées à la moitié universitaire du secteur, permettent de tracer l’évolution des nomenclatures.

La note « Les étudiants en économie, gestion et AES à l’université en 2014-2015 » (NI 16.02) distingue ces trois domaines, en y ajoutant une curieuse quatrième filière, dite « pluri sciences éco-gestion ». Elle établit que les effectifs universitaires en gestion sont trois à quatre fois plus nombreux que ceux de chacune des autres filières.

Dans la note « Les effectifs universitaires en 2016-2017 » (NF n°4, mai 2017) la gestion n’est plus mentionnée. Elle est diluée dans les « sciences économiques », elles-mêmes incluses dans un « groupe disciplinaire » intitulé « Economie, AES ». Surprenante pratique, qui fait disparaître la gestion, très majoritaire, dans un ensemble qui porte le nom de ses composantes minoritaires.

Le 27 janvier 2017, lors d’un séminaire de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), une représentante de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP), interrogée par nos soins, nous répond de façon péremptoire « la gestion pure et dure, c’est fini » (sic).

Ce qu’elle explicitera par écrit : « il est extrêmement difficile, en effet, de distinguer la gestion de l’économie… ». Un représentant de SIES nous confirmera : « notre système de nomenclatures ne nous permet pas d’isoler la gestion des disciplines connexes (économie notamment) ». Nos demandes d’explication de ce changement de nomenclature ont reçu des réponses très lapidaires.

Trois arguments peu convaincants

Le premier impute ce changement à la réforme de 2014, créant le « Cadre national des formations », qui a réduit la liste des diplômes universitaires. L’ancienne nomenclature définissait les diplômes de façon détaillée sur trois niveaux : diplôme, mention, spécialité. La nouvelle s’arrête au niveau de la mention. L’examen de cette liste simplifiée montre qu’elle facilite la distinction entre économie et gestion. Nous n’avons pas obtenu d’explication technique qui justifierait la non-distinction. Ni comment celle-ci, mal fondée côté universités, pourrait s’appliquer au secteur entier, alors que les grandes écoles ne sont pas concernées par la réforme de 2014. Celle-ci paraît être l’occasion du changement de nomenclature, pas sa cause.

Le second argument est que l’importance des enseignements de sciences économiques dans les formations de gestion ôterait son sens à la distinction des deux secteurs. Cette allégation révèle une méconnaissance du contenu des formations de gestion. Dans les cinq années conduisant à un diplôme de grande école de gestion, la part des enseignements de sciences économiques varie, sauf rare exception, de 5 à 10 %. Elle peut être un peu plus élevée dans certaines filières universitaires de gestion. Dans le secteur entier, l’économie tient une place inférieure à celle des mathématiques dans la formation des ingénieurs. Que l’on sache, SIES ne se donne pas le ridicule de proposer la « dilution statistique » des formations d’ingénieurs dans celles de mathématiques.

Le troisième argument est que SIES privilégierait, pour la gestion, une « approche disciplinaire, transversale au statut des établissements ». Si la dimension « transversale » s’impose, en quoi consiste l’approche « disciplinaire » d’un secteur multidisciplinaire ?

Car les formations de gestion le sont, comme celles de médecine ou d’ingénieurs, tout en étant structurées autour d’une discipline centrale. SIES applique aux formations de médecine et d’ingénieurs, une approche « sectorielle », l’appartenance au secteur étant définie par la discipline dominante. Aux formations de gestion, il prétend appliquer une approche « disciplinaire », ayant pour objet d’isoler en leur sein la part propre à une discipline « gestion » au sens strict.

Quelle est la définition de cette discipline « gestion » ? Comment accéder aux informations détaillées qu’elle exige ? Pourquoi cette approche « disciplinaire » est-elle réservée à la gestion, les secteurs similaires faisant l’objet d’une approche « sectorielle » ? On ne sait.

Un choix de nomenclature qui doit être remis en cause

Procéder à la « dilution statistique » du secteur de la gestion dans celui des sciences économiques, de nature différente et aux effectifs cinq fois moins nombreux, est un projet étrange, qui ne s’appuie ni sur une base scientifique, ni sur des références internationales.

L’approche « disciplinaire » de la gestion est mal fondée et peu réaliste. Elle ne peut dispenser SIES de produire des données statistiques complètes et détaillées sur le secteur entier des formations de gestion, comme il le fait sur celui des formations d’ingénieurs, aux caractéristiques institutionnelles semblables et aux effectifs moindres.

Comment est-il possible qu’un tel changement de nomenclature, qui porte atteinte à l’image sociétale d’un secteur majeur de l’enseignement supérieur, se fasse dans l’opacité la plus totale, sans annonce officielle, sans justification et sans concertation avec les représentants du secteur ?

The ConversationCes derniers n’ont pas été respectés. Ils ont aussi manqué de vigilance. Ces deux constats peuvent s’expliquer par l’éclatement de la représentation des établissements de gestion entre plusieurs structures à la légitimité limitée. Ce dossier, parmi d’autres, confirme la nécessité de créer une instance représentative de l’ensemble des directeurs d’écoles et de formations de gestion, dont l’une des priorités sera d’obtenir du ministère qu’il adapte ses nomenclatures aux réalités du XXIe siècle.

Jean-Pierre Nioche, Professeur Emérite, HEC School of Management – Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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