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Un fab lab, ça sert à quoi ?

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Guy Sie, Utrecht, Netherlands / Wikimedia

Laurent Dupont, Université de Lorraine; Laure Morel, Université de Lorraine et Pascal Lhoste, Université de Lorraine

C’est un chercheur du célèbre Institut de technologie du Massachusetts, Neil Gershenfeld, qui dans les années 2000 a inventé le concept de fab lab – contraction de fabrication laboratory, qui signifie « laboratoire de fabrication ». Depuis, des fab lab se sont installés aux quatre coins du monde, dans des contextes aussi différents que ceux de la Norvège, les Pays-Bas, la France, l’Afghanistan, l’Inde, ou encore l’Afrique du Sud…

Illustrer l’air du temps

Les fab lab représentent un mouvement d’un ensemble plus large appelé « open labs ». Ces lieux ouverts rassemblent diverses communautés qui se retrouvent autour de valeurs partagées, d’échanges de connaissances, astuces ou pratiques. Les processus de (co-)création qui y sont mis en œuvre sont largement soutenus par les technologies les plus récentes. Quant à leur succès et à leur diversité, on peut les expliquer par la convergence de plusieurs phénomènes.

Tout d’abord, une véritable démocratisation des savoirs et des technologies numériques a rendu accessible au plus grand nombre des possibilités nouvelles. Ensuite, la société subit de profondes mutations (prise de conscience écologique, transition numérique, questionnement démocratique, évolution du rapport au travail, etc.), tout en opérant une sorte de révolution autour du « do it yourself ». Et ce principe du « Fais-le toi-même », intimement lié à notre système de production, a été appliqué dans les sociétés agraire (le local), industrielle (le global) et l’est maintenant dans la société post-industrielle, ou société de l’information (le global et le local).

In fine, les fab lab constituent donc des espaces de réalisation de nos aspirations nouvelles. Une sorte « d’hétérotopie », un lieu de réalisation de nos utopies, où l’imaginaire se libère et les inspirations prennent forment.

Faire à sa mesure et innover

Tourné vers la fabrication numérique, le fab lab entend rassembler dans un même espace toutes les ressources pour réaliser un projet de A à Z, de l’intention jusqu’à sa matérialisation. La fabrication numérique permet notamment de produire des pièces complexes (pièces techniques, mécanismes, etc.) sans passer par le circuit industriel. Dans un fab lab, on peut réparer, détourner, hacker, fabriquer, monter ou démonter à peu près n’importe quoi.

En pratique, le fab lab donne au grand public un accès à des moyens de fabrication historiquement réservés à l’industrie. Il s’adresse aux entrepreneurs qui veulent passer plus vite du concept au prototype ; aux designers et aux artistes qui trouvent de nouveaux moyens d’expression ; aux étudiants désireux d’expérimenter et d’enrichir leurs connaissances pratiques en électronique, en conception et fabrication assistées par ordinateur, en design ; aux bricoleurs du XXIe siècle…

Lorraine Fab Living Lab.

Stimulant l’innovation bottom up, le fab lab participe finalement à la réappropriation des technologies par les citoyens et les utilisateurs. Il contribue à spatialiser le numérique, l’ancrer sur un territoire et élargir les capacités de participation et d’intervention des citoyens sur leur quotidien, leur environnement immédiat et leur espace de vie. Il est l’endroit où s’inventeront, plus sûrement que dans les grandes entreprises et les laboratoires, les objets et les lieux de demain.

Concrètement, pour être appelé fab lab, un atelier de fabrication numérique doit respecter la charte fab lab, mise en place par la Fab Foundation. Le lieu doit ainsi être ouvert au public et en termes d’équipements, a minima d’une machine de découpe laser, d’une machine de découpe vinyle, d’une CNC (machine à commande numérique), d’une imprimante 3D et d’un scanner 3D .

Des fab lab sur-mesure

Chaque fab lab prend une « couleur » propre à son contexte d’implantation, en fonction des besoins et des ressources locales. Il y a des fab lab en extension des campus, d’autres à visée éducative, d’autres orientés vers l’humanitaire, d’autres encore vers le développement artistique et le design… Ces lieux sont passionnants. Car ils se situent précisément au croisement entre la nécessité sociale d’innover « différemment » pour répondre à des problématiques locales, et une culture de la collaboration et de l’innovation ouverte issue du Web 2.0.

Tous combinent, chacun à leur manière, cinq fonctions correspondant à cinq publics : la simple découverte du pouvoir de faire, de fabriquer, qui s’adresse aux enfants ou aux bricoleurs ; l’éducation par l’action, qui s’adresse plutôt aux écoles et universités ; le prototypage rapide, qui s’adresse aux entrepreneurs et créateurs ; la production locale, qui répond notamment aux besoins de pays en développement, mais aussi à ceux d’artistes, designers ou bricoleurs qui ne cherchent pas la grande série ; et l’innovation, l’invention des objets, des espaces, des formes de demain.

Le fab lab augmenté

L’expérience est encore plus intéressante lorsque le fab lab est « augmenté », quand il est relié à la recherche, aux entreprises, aux associations, aux citoyens. Ou encore quand il devient mobile Lab. Trop souvent, les plateformes d’innovation, espace de co-working et tiers lieux sont en effet installés en ville. Est-ce à dire que nos territoires ruraux ne sont pas créatifs ? Qu’ils n’ont pas envie de s’inscrire dans cette aventure collective ?

Loin s’en faut ! C’est pourquoi, à l’initiative d’une école d’ingénieurs, l’ENSGSI (École nationale supérieure du génie des systèmes et de l’innovation), et d’un laboratoire de recherche, l’ERPI (Équipe de recherche sur les projets innovants) de l’Université de Lorraine, le Nomad’Lab a été créé en 2014 avec le soutien financier du Conseil Régional de Lorraine et la CGPME Lorraine.

NomadLab.
NomadLab.

Il entend pallier ce manque et se rendre au plus près des écoliers, des lycéens, du grand public et des entreprises (en particulier les PME) situés dans des territoires inter-urbains.

Lorraine Fab Living Lab.

Fabrique de la Société ?

Bref, pour faire simple : un fab lab, c’est un lieu où :

  • Les étudiants apprennent à matérialiser les idées qu’ils ont pu co-créer lors de sessions de créativité,
  • Les chercheurs cherchent et trouvent ( !) de nouveaux matériaux moins polluants pour réaliser les prototypes,
  • Les bidouilleurs viennent s’en donner à cœur joie en bricolant sur les machines pour les faire devenir des « monstres » tridimensionnels digne d’un épisode de Men in Black !
  • Les entreprises y trouvent une solution à leur gestion de stocks et au renouvellement sur mesure de pièces de modèles anciens qui ne sont parfois plus commercialisés…
  • Les citoyens peuvent se saisir de ressources nouvelles pour faire eux-mêmes la société de demain en passant du « Fais-le toi-même » au « Faisons le ensemble »

Donc un fab lab, c’est quoi ?

Pour nous, aucune définition unique ne s’impose vraiment… Nous constatons que c’est un lieu où des publics éclectiques peuvent prototyper plus rapidement qu’avant et à moindre coût leurs idées, les tester et les enrichir en bénéficiant d’un collectif bienveillant. Nous espérons que ce type de lieux devienne ce que les communautés y participant veulent bien en faire… Et nous avons une certitude : c’est un lieu où l’on ne s’ennuie pas et où le savoir n’est pas corrélé à l’âge ou au diplôme… C’est peut-être cela, en fait, la 4e révolution (industrielle).


The ConversationPour aller plus loin, visitez les sites du Lorraine Fab Living lab et L’ERPI.

Laurent Dupont, Ingénieur de Recherche , Université de Lorraine; Laure Morel, Professeur en Génie Industriel, Université de Lorraine et Pascal Lhoste, Directeur ENSGSI – Université de Lorraine; cofondateur du LF2L, Université de Lorraine

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