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La laïcité, valeur essentielle de la République

Sylvie Pierre, Université de Lorraine

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La charte de la laïcité (Photo credit: Jeanne Menj via Visualhunt / CC BY-ND)

Depuis 2011, date de l’instauration d’une « journée nationale de la laïcité », le monde scolaire est fortement incité à célébrer l’anniversaire de la loi de 1905, loi de Séparation de l’Église et de l’État. Cette journée est instituée par une résolution du Sénat adoptée le 31 mai 2011 et la proposition de résolution enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 28 mars 2013.

Pour Claude Domeizel (PS) co-auteur du texte, la laïcité n’a pas à être débattue car elle se vit en tant que principe fondateur de la République et cette journée a pour ambition d’en faire la pédagogie. En effet, depuis 1984, des rapports soulignent que la laïcité, héritage essentiel de la Révolution, est menacée. Notre société souffre d’un effritement des valeurs, d’un cloisonnement des communautés.

Les événements tragiques de 7 janvier et du 13 novembre 2015 n’ont fait que confirmer la nécessité de se mobiliser autour des valeurs de la République.

Pour penser l’éducation à la laïcité lors d’une telle journée, il faut en questionner deux aspects : la laïcité en éducation et l’éducation à la laïcité dans une dimension éthique (c’est-à-dire interroger la notion de valeur elle-même) et axiologique (se demander ce que peut/doit signifier la transmission desdites valeurs).

Un principe hérité des Lumières

Les événements de 2015 révèlent pour une part l’insuffisance de la transmission des valeurs Républicaines au sein de l’école malgré un enseignement civique et moral et une volonté politique de les faire partager.

Il faut tout d’abord penser le concept de laïcité, héritier de la philosophie des Lumières, dans sa fonction émancipatrice. Le terme est issu du latin laicus, qui signifie « commun », lui-même venu du grec laos, le peuple. Le peuple ordinaire, la foule, la masse, qui s’oppose au demos, le peuple « politique », la communauté civique. L’histoire des cités grecques et de leur invention de la « démocratie » montre qu’elles tentaient déjà d’organiser l’espace public et politique de la Cité autour de l’agora, lieu de la prise de parole des citoyens, et donc – en ce qui concerne Athènes – hors de l’Acropole et des édifices religieux.

Genèse d’un idéal

Au XVIIIᵉ siècle, l’esprit des Lumières se répand et les philosophes dénoncent les persécutions religieuses perpétrées au nom de la religion. Voltaire rappelle dans son Traité de la Tolérance : « On sait assez ce qu’il en a coûté depuis que les chrétiens disputent sur le dogme : le sang a coulé, soit sur les échafauds, soit dans les batailles, dès le IVᵉ siècle jusqu’à nos jours ». Pour le philosophe, l’ordre public n’a nul besoin d’une contrainte religieuse.

À la révolution, la monarchie de droit divin est remplacée par le peuple désormais souverain. C’est une première expérience historique d’une société décidée à s’émanciper de l’autorité de la religion : la souveraineté ne vient plus de Dieu, mais du peuple. Grâce à la liberté de conscience et à l’égalité devant la loi, proclamée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, émerge et grandit l’idée de laïcité. L’article 10 proclame : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi ».

Les philosophes des Lumières n’ont pas oublié l’école. Le 20 avril 1792, Condorcet présente devant l’Assemblée législative le « Rapport sur l’organisation générale de l’instruction publique » et déclare : « Les principes de la morale enseignés dans les écoles et dans les instituts seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la raison, appartiennent également à tous les hommes […]. Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière, et de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux ». Le 13 juillet-13 août 1793, le plan d’éducation élaboré par Michel Lepelletier est amendé et adopté par la Convention. « Je désirerais, que pendant le cours entier de l’instruction publique, l’enfant ne reçût que les instructions de la morale universelle, et non les enseignements d’aucune croyance particulière », dit Robespierre qui le présente.

Au XIXᵉ siècle, la lutte entre l’Église et l’État

Le XIXᵉ siècle est marqué par un ensemble de luttes acharnées entre les Églises et l’État, faites d’avancées et de reculs. La loi Falloux apparaît par exemple comme une victoire de l’Église et une revanche sur les Lumières.

Lors de la séance du 15 janvier 1850 à l’Assemblée législative, Victor Hugo s’élève contre ce projet et déclare : « Je veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement ; mais je veux la surveillance de l’État ; et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’Etat laïque, purement laïque, exclusivement laïque ». Il s’adresse ensuite au parti ultramontain : « Je ne veux pas vous confier l’enseignement de la jeunesse, l’âme des enfants, le développement des intelligences neuves qui s’ouvrent à la vie, l’esprit des générations nouvelles, c’est-à-dire l’avenir de la France, parce que vous le confier, ce serait vous le livrer. […] ». La loi est pourtant votée.

Sous la IIIᵉ République, de 1870 à 1904, l’enseignement est au cœur du débat politique. Une nouvelle génération de républicains placent l’humanité à la place de Dieu, le progrès à la place de la Révélation et défendent le principe de séparation des Églises et de l’État. Jules Ferry proclame : « La conscience humaine peut fonder une morale sociale et se passer de béquille théologique ». La laïcisation de la société civile est pour lui un préalable à la séparation des ÉgliseS et de l’État. La loi la plus connue est celle du 28 mars 1882, qui institue une école gratuite, obligatoire et laïque pour tous, reposant sur les droits de l’homme, la liberté de conscience et les principes de liberté et d’égalité. Ferdinand Buisson précise : « […] Nous n’avons pas le droit de toucher à cette chose sacrée qui s’appelle la conscience de l’enfant ».

La loi de 1905 institue la laïcité en séparant les Églises et l’État. Elle garantit le respect de la liberté de conscience et implique la neutralité de l’État à l’égard des opinions et des croyances. Pour Ferdinand Buisson, président de la mission parlementaire, il s’agissait de faire de « l’œuvre de laïcité de l’État non un acte de combat ou un instrument de vengeance, mais au contraire un acte de pacification sociale ». Ainsi la mise en place de l’instruction civique (1882) et la loi de 1905 s’inscrivaient dans un contexte d’instauration de la République dans un contexte de tension avec l’Église catholique et une volonté affirmée de s’émanciper de cette référence morale et sociale discutable.

Rappeler cet héritage historique, philosophique et spirituel de notre humanité permet de comprendre le chemin de la conquête de l’esprit de liberté : aucune société ne l’a sécrété spontanément. Et en tant que conquête, elle n’est jamais acquise de manière définitive. Mais connaître les faits ne suffit pas à éduquer à la laïcité. Dans le contexte actuel, la nécessité de faire partager les valeurs de la République a pris tout son sens et ne date pas de janvier 2015. La mission du partage des valeurs de la République figure dans la loi depuis 2005 et a été réaffirmée par la loi sur la refondation de l’école en 2013. Elle est d’ailleurs la première compétence des métiers du professorat selon le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation.

Faire partager les valeurs de la République

Abdennour Bidar consacre son dernier ouvrage à cette question : « Quelles valeurs partager entre nous tous, sans frontières de culture ni de convictions ? Et comment les transmettre à nos enfants ? Deux véritables défis pour nos sociétés devenues très muticulturelles, où rien ne semble plus difficile que de se rassembler autour d’un « bien commun », de se remettre tous ensemble sur un chemin de sens et d’espérance au-delà de nos différences de culture, de croyances et de conviction […] ». En effet, dans quelle mesure peut-on éduquer à la laïcité dans une société qui ne parvient pas à réduire les discriminations et où les inégalités sociales et territoriales s’aggravent ?

La formation des enseignants est un des aspects essentiels de la connaissance des valeurs mais aussi des démarches à mettre en œuvre auprès des élèves. Pratiquer la laïcité dans le cadre scolaire, c’est montrer qu’elle seule permet la coexistence des différences et donner aux élèves les outils intellectuels qui leur permettent de la pratiquer dans un équilibre des droits et des devoirs. Toutes les activités éducatives et tous les enseignements disciplinaires participent au fondement des valeurs laïques. Il s’agit avant tout d’aider l’élève, futur adulte, à pratiquer une séparation entre les différents domaines de réflexion (ce qui relève de la science, de la connaissance et ce qui relève des croyances). Autant dire que l’éducation à l’esprit critique, à la pratique de l’argumentation, à l’écoute est essentielle pour intérioriser une laïcité porteuse de liberté, égalité, fraternité.

La journée de la laïcité, résolument ancrée dans une pensée humaniste et une conception universaliste de la société héritière de la philosophie des Lumières, interroge nécessairement les différents acteurs du monde éducatif. Redisons-le haut et fort : la Laïcité est une valeur républicaine qui nécessite qu’elle soit comprise, partagée et défendue lorsqu’elle est menacée. L’expérience montre que l’éducation est fondamentale afin que les jeunes générations intègrent le principe de laïcité comme premier garant de la liberté de conscience de chacun. Aussi, il apparaît opportun qu’une journée lui soit consacrée. Elle ne peut cependant pas suffire à elle seule à transmettre cette valeur qui doit être enseignée et vécue tout au long du parcours de l’élève.

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Sylvie Pierre, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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