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Accès à l’université : les points litigieux… ne sont pas dans la loi !

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Une AG à Paris 1 Tolbiac… en mai 2007.
David Monniaux/Flickr, CC BY-SA

Guillaume Bagard, Université de Lorraine; Georges El Haddad, Université de Lorraine; Hélène Rossinot, AP-HP et Inès Ahmed Youssouf Steinmetz, Université de Lorraine

Dans une dizaine d’universités, des blocages sont venus pénaliser le fonctionnement du service public pour protester contre la réforme de l’admission à l’université. Mais très vite, les revendications se sont éloignées du leur cause initiale pour dénoncer pêle-mêle les atteintes au statut de cheminot, la situation du peuple kurde, l’expulsion des zadistes de Notre Dame des Landes… ou même réclamer l’abolition du capitalisme.

Tirage au sort vs sélection

La question de l’entrée dans l’enseignement supérieur ne date pourtant pas d’aujourd’hui, déjà en 2016, dans une tribune publiée dans Le Monde, Jean‑Loup Salzmann, à la tête de la Conférence des présidents d’université (CPU) et Gilles Roussel, président de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, réclamaient une meilleure orientation des bacheliers :

« Il est irresponsable de laisser croire à un lycéen qu’il peut s’inscrire dans la filière de son choix sans aucun pré-requis et sans se soucier de son insertion professionnelle à terme ! Qui peut croire qu’un jeune peut réussir en langues sans avoir un bagage conséquent acquis durant ses années de lycée ? »

Les filières en tensions sont généralement sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), psychologie, médecine et droit. Pour l’UNEF, les filières en tension ne nécessitent pas une meilleure orientation, mais la création de places supplémentaires.

Pour éviter la sélection par dossier des futurs étudiants, le gouvernement entérine le tirage au sort en 2017. Cette mesure est censée être temporaire, en attendant la création davantage de place dans les universités. En effet, le ministère de l’époque considérait que seule l’obtention du baccalauréat doit déterminer l’accès à l’université.

Au contraire, pour le syndicat des étudiants de droite (UNI), il est urgent de mettre en place une sélection à l’instar des classes préparatoires, des grandes écoles, des Instituts Universitaires de Technologie (IUT), des classes de BTS ou encore des Centres de Formation et d’Apprentissage. Nul ne peut accepter qu’on tire son futur au sort.

Si un tel système sélectif était instauré, que deviendraient les étudiants refusés ? Ils devraient être réorienté vers d’autres filières pas forcement plus « professionnalisantes ». En continuant d’accepter tous les bacheliers, l’université assume sa singularité, assure sa mission de service publique et constitue le fondement du droit à la formation.

C’est pourquoi, lors de l’écriture de la loi, le sénateur Jacques Grosperrin (LR) a proposé un amendement, afin de définir les capacités d’accueil en licence en fonction des taux de réussite et de l’insertion professionnelle.

« Les places doivent être ouvertes au regard des débouchés, et non pas en fonction des vœux des étudiants, martèle le sénateur. Il faut sortir de l’hypocrisie de ces formations en tension qui mènent à une impasse professionnelle. »

La réflexion sur une sélection en fonction des débouchés mérite d’être posée, mais l’intérêt professionnel d’une formation ne se résume pas à un secteur professionnel, par l’exemple les effectifs des métiers du droit sont assez faibles (entre 110 000 et 130 000 postes), en revanche les compétences d’une formation juridique sont appréciées par les recruteurs.

La tentative d’une troisième voie

De fait, l’ambition de la loi ORE n’est ni de sélectionner ni de tirer au sort, mais de mieux orienter les futurs étudiants, pour éviter que des bacheliers soient de nouveau laissés sur le carreau. Pour cela, elle offre aux universités la possibilité de définir des « attendus », sorte de recommandations sur le profil à avoir pour être admis dans telle filière, tout en laissant la possibilité aux étudiants motivés de s’inscrire malgré tout à condition de suivre un « accompagnement pédagogique ».

Le cadre de la loi

La définitions des attendus a d’abord été le résultat d’un « cadrage national », ce dernier a été « construit avec les acteurs de l’enseignement supérieur », mais ne constitue qu’une base de travail transmise aux universités. Ces dernières sont ensuite libres de décliner leurs propres attendus « pour exprimer au mieux les exigences et les spécificités de leurs formations ».

Si la loi ne détaille pas de mesures précises sur la question des pré-requis et de l’accompagnement pédagogique, c’est qu’elle laisse la liberté aux universités de s’organiser elles-mêmes et de s’adapter à la diversité des situations. Trois situations se présentent :

  • Les filières sélectives restent sélectives, comme les DUT universitaires ou les classes préparatoires et les BTS. Les candidats sont sélectionnés sur dossier à l’issue d’un « oui » ou d’un « non ».
  • D’autres filières, comme les écoles, recrutent à l’issue d’un concours. Les candidats sont admis en fonction de leur classement.
  • Les filières non sélectives restent non sélectives : les universités ne pourront répondre que « oui » ou « oui si » aux candidats à l’entrée en licence.

Dans la plupart des cas, il n’y aura aucun changement car les filières disposeront d’une capacité d’accueil suffisante.

Ce système s’annonce dés le départ partiel, car il ne concerne que les filières en tension, comme les STAPS, la psychologie et le droit. Dans la plupart des cas, il n’y aura pas changement car les filières disposeront d’une capacité d’accueil suffisante.

Les limites de la loi

En l’absence de sélection à l’entrée, l’autre moyen de remédier à un manque de pré-requis est la mise en place de cours de remises à niveau. D’ailleurs, c’était déjà tout l’objet du plan réussite en licence et de l’instauration de tutorat, sans parvenir à des résultats suffisamment satisfaisants. La loi ORE n’apporte pas vraiment de solution à ces questions, puisqu’elle ne propose des modules d’accompagnement pédagogique que dans les filières en tension, pour éviter le tirage au sort.

La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, a promis une enveloppe de 35 millions pour mettre en place le « oui si ». Répondre « oui si » à un lycéen c’est d’abord lui dire « oui » à l’entrée à l’université, mais c’est également être en capacité de lui apporter un accompagnement pour l’amener vers la réussite. Une revendication logique des étudiants serait d’appliquer cet accompagnement pédagogique dans toutes les filières. Seulement, cela exigerait davantage de moyens.

Le dispositif Parcoursup est loin de régler ces problèmes, mais il a au moins le mérite d’essayer de mettre fin au tirage au sort, d’accompagner au mieux les étudiants tout en laissant la liberté aux universités d’adapter les pré-requis à leurs spécificités, et surtout de tenter d’améliorer l’égalité des chances.

De l’objectif aux résultats, le succès de la réforme va dépendre avant tout de la coopération des universités chargées de la mettre en œuvre, sans oublier les rectorats.

Le rôle des universités

Si le gouvernement laisse aux universités, autonomes depuis la loi LRU de 2007, le soin de mettre en œuvre la réforme. Les universités définissent les pré-requis et choisissent la forme que prendra la remise à niveau : travaux dirigés supplémentaires de méthodologie ou de techniques, année de remise à niveau préalable, stages intensifs en début d’année, etc.

Le processus décisionnel

L’application de cette réforme est donc tout aussi déterminante que le texte de loi, car c’est au niveau des instances des universités qu’interviendront réellement les problématiques d’application. Les attendus et les accompagnements pédagogiques se déterminent par les sections/départements disciplinaires et les Conseils des facultés, ensuite celui de la formation universitaire et enfin le Conseil d’Administration de chaque université.

Les instances de l’université.
Université Nice Sophia Antipolis

Dans ce processus décisionnel, des représentants élus par les étudiants participent aux délibérations et à la prise des décisions.

Donner la parole à la démocratie étudiante

Au-delà de l’effet spectaculaire des blocages, avec leurs violences et leurs fake news, une majorité des étudiants soutient la réforme d’après les urnes universitaires légitimes et les sondages. À titre d’exemple, le référendum organisé par l’Université de Lorraine le 9 avril donne une majorité de 70 % en faveur de la levée du blocage et du respect de calendrier des examens dans le campus Lettres et Sciences Humaines de Nancy bloqué depuis le 22 mars.

Les négociations menées à travers les institutions universitaires « légales » n’ont absolument rien à voir avec les revendications des bloqueurs telle l’attribution d’un 10/20 à tous les étudiants qui se présenteraient aux partiels. Ce mouvement étudiant minoritaire ternit l’image de l’Université en France sans jamais soulever les vraies revendications des étudiants.

The ConversationAu final, la loi ORE est nécessaire mais reste pour l’instant insuffisante. Mettre fin à l’arbitraire du tirage au sort représente en soi un progrès, à condition que tous les néo-bacheliers de France aient cette fois accès à la formation souhaitée lors de leurs vœux. Il faudrait donc patienter jusqu’à septembre pour savoir si Parcoursup tient réellement ses promesses.

Guillaume Bagard, Doctorant contractuel chargé d’enseignement en Droit et élu au Pôle Scientifique de l’Université Lorraine, Université de Lorraine; Georges El Haddad, Doctorant en Sciences Economiques et Attaché d’Enseignement et de Recherche à la Faculté de Droit, Sciences Economiques et Gestion de Nancy et à l’Institut Supérieur d’Administration et de Management (ISAM-IAE), Université de Lorraine; Hélène Rossinot, Interne en santé publique, AP-HP et Inès Ahmed Youssouf Steinmetz, doctorante en droit, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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