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L’écriture en miroir chez l’enfant de 5 à 6 ans

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L’apprentissage de l’écriture.
Marin Dacos is waiting 4 les tambours de la pluie via VisualHunt.com, CC BY

Jean-Paul Fischer, Université de Lorraine

Nos recherches concernent l’écriture en miroir des chiffres et des lettres, et de leur prénom, par les enfants de 4 à 6 ans. Cette écriture est correcte si on la regarde dans un miroir adéquatement posé, d’où son nom. Dans le cas d’une écriture normale, le miroir doit être posé à droite ou à gauche, perpendiculairement au plan horizontal d’écriture. Il faut alors distinguer ces écritures en miroir horizontal des écritures en miroir vertical qui sont correctes si on les regarde dans un miroir posé en dessous ou au-dessus.

Dans un premier temps, on pourrait croire que les enfants, qui sont souvent assis face à face dans le cadre des ateliers en maternelle, inversent les chiffres et les lettres parce qu’ils les voient ainsi sur la feuille du camarade assis en face. Mais il n’en est rien car une telle origine conduirait les enfants à des écritures en miroir double (voir figure 1).

Figure 1. Les chiffres (sauf 0 et 8) écrits en miroir.

Cette question de l’origine de ces écritures (impressionnantes lorsqu’elles sont en lettres cursives attachées : voir l’écriture de Joséphine sur la figure 3) est longtemps restée mystérieuse. Mystérieuse et déconcertante car les enfants produisent spontanément des écritures qu’ils n’ont ni vues, ni apprises. Le linguiste Noam Chomsky a fondamentalement utilisé un tel argument – les enfants font des phrases qu’ils n’ont jamais entendues (ni lues évidemment) – pour soutenir l’innéité du langage. Nous verrons, au contraire, comment les écritures en miroir horizontal des caractères (chiffres et lettres majuscules) s’expliquent par la culture, dans le cadre des contraintes imposées par le traitement cérébral.

Alors que l’écriture en miroir est entrée dans la littérature scientifique par un article du neurologue allemand Alfred Buchwald en 1878 (en allemand, on désigne l’écriture par « Spiegelschrift »), les 125 années suivantes ont conduit à des explications non seulement insuffisantes, mais souvent fausses. L’une des raisons majeures de l’échec des explications est que l’on tenait un « coupable » : l’écriture de la main gauche. Pendant longtemps, le discours dominant selon lequel les personnes gauchères seraient maladroites collait bien avec l’observation que les enfants gauchers inversent les chiffres et les lettres, voire leur prénom ou des mots et phrases entiers.

Tout au long du XXe siècle, les revues ont ainsi publié des écritures en miroir produites par des enfants gauchers. Aujourd’hui encore, la gaucherie est l’explication favorite de nombre d’enseignants que le document Eduscol sur l’écriture en maternelle n’éclaire pas vraiment. Ce dernier continue en effet à entretenir à la fois le mystère en posant seulement la question « pourquoi certaines lettres sont-elles inversées ? » et la confusion en illustrant l’inversion des lettres du mot RENARD par l’écriture d’un enfant qui ne les a nullement inversées !

Figure 2 : Écriture d’une série de caractères dictés, un à un, par un enfant droitier de 6 ans 2 mois.

L’explication que nous donnons aujourd’hui au phénomène d’écriture en miroir des chiffres et des lettres passe par deux niveaux successifs. D’abord, au niveau cérébral, on s’était longtemps limité à la théorie simple d’Orton, en 1925, selon laquelle l’un des hémisphères cérébraux (en général le gauche) représenterait correctement les lettres alors que l’autre les représenterait en miroir. Mais, plus récemment, on a pu montrer que le cerveau élimine l’orientation (gauche ou droite) lors de la mise en mémoire des images (phénomène de symétrisation ou de généralisation en miroir).

Ce processus de généralisation, très utile par ailleurs (pour reconnaître un visage indépendamment de son profil gauche ou droit par exemple), conduit les enfants de 5 ans à la connaissance, de mémoire, de la forme des chiffres et des lettres mais pas de leur orientation gauche ou droite. Ce processus de généralisation étant fondamentalement adapté au domaine visuel et à la généralisation en miroir horizontal, il est important de préciser que l’apprentissage implicite initial de la forme des lettres par les enfants est principalement visuel et que les enfants produisent presque exclusivement des écritures en miroir horizontal.

Figure 3 : Écriture de leur prénom par deux enfants droitiers de 5 ans 5 mois et 5 ans 7 mois (sous contrainte spatiale).

Ensuite, au niveau comportemental, lorsqu’ils écrivent les chiffres et les lettres de mémoire, les enfants sont obligés de leur donner une orientation : dans notre culture (où l’on écrit de gauche à droite), ils les orientent le plus souvent vers la droite. Cela les conduit à inverser principalement les lettres majuscules et chiffres orientés vers la gauche. Ainsi, J, Z, 1, 2, 3, 7 et 9 seront considérablement plus écrits en miroir horizontal que les autres chiffres et lettres (voir la figure 2). Cependant, lorsque des contraintes spatiales les incitent à écrire de droite à gauche, les enfants inversent plutôt les lettres orientées vers la droite (voir les E, N et C de MAXENCE sur la figure 3). Cela suggère donc qu’en général les enfants orientent les caractères dans la direction de l’écriture.

Comme cette explication n’a rien à voir avec la gaucherie des enfants, on peut prédire que les enfants droitiers inverseront les caractères presque autant que les enfants gauchers, et que, gauchers ou droitiers, les enfants inverseront surtout les caractères orientés vers la gauche.

The ConversationCette explication, étayée par des dizaines de milliers d’observations d’écritures sur plus d’un millier d’enfants est encore, probablement en raison de sa récence, largement inconnue. Si bien que certains parents continuent à se demander si ces écritures en miroir ne sont pas les précurseurs d’une dyslexie (notamment). Et certains pédiatres ou ergothérapeutes n’ont, encore aujourd’hui, d’autre réponse qu’une gaucherie contrariée ou une mauvaise latéralisation.

Jean-Paul Fischer, Professeur émérite de psychologie, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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