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Les traités commerciaux favorisent-ils le commerce mondial ?

Jean-Marc Siroen, Université Paris Dauphine – PSL

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La voie maritime, axe essentiel du commerce international (Photo credit: jacme31 via Visualhunt.com / CC BY-SA)

L’ère de la « mondialisation heureuse » semble aujourd’hui s’achever. Certains interprètent le ralentissement actuel du commerce international comme une fin de partie voire le signe d’un retour en arrière. Certains s’en inquiètent, d’autres s’en réjouissent. Encore doit-on s’interroger sur ce retournement qui rompt avec une loi que les économistes croyaient bien établie et selon laquelle le taux de croissance du commerce mondial amplifiait celui de la production mondiale.

Ralentissement du commerce mondial

Depuis 1950 le volume des exportations mondiales a ainsi été multiplié par 40, contre « seulement » 10 pour le PIB. Depuis deux ans, le commerce international stagne alors que la croissance mondiale se situerait, d’après le FMI, autour de 3 % en 2016.

Les explications ne manquent pas : ralentissement de l’économie mondiale, tensions protectionnistes, relocalisations… La mise en cause des accords commerciaux, censés étendre et diffuser le libre-échange peut sembler paradoxale. Mais ce serait oublier que le GATT, puis l’OMC, se sont construits pour accompagner la libéralisation « multilatérale » des échanges.

Il s’agissait d’éviter les accords « bilatéraux » qui, dans les années 1930, avaient partitionné le monde en blocs protectionnistes amplifiant ainsi l’effondrement du commerce international.

Nous n’en sommes évidemment pas là. Néanmoins, la moitié des accords commerciaux notifiés à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont été mis œuvre depuis moins de dix ans. Ils produisent leurs effets aujourd’hui. La pétition de principe selon laquelle les traités « bilatéraux » de libre-échange accroissent le commerce mondial, critiquable d’un point de vue théorique, pourrait être démentie dans les faits.

Doutes sur les accords bilatéraux

Trois effets entretiennent ces doutes.

Le premier, bien connu des économistes, est l’effet de détournement. Certes, un traité de libre-échange entre le Canada et la Corée éliminera les barrières aux échanges entre ces deux pays ce qui favorisera leur commerce réciproque. Mais ce surcroît se substituera en partie au commerce réalisé auparavant avec le reste du monde. Plus d’exportations automobiles coréennes vers le Canada impliqueront moins d’exportations japonaises. Le commerce mondial n’augmentera pas autant que le commerce bilatéral entre l’UE et la Corée.

Le second est un effet de protection. Les nouveaux accords ne se contentent pas de lever certaines barrières aux échanges. Ils incluent aussi une multitude de dispositions relatives, par exemple, à l’investissement, à la concurrence, à l’environnement, au droit du travail, à la liberté de circulation. Certaines de ces dispositions, comme l’ouverture des marchés publics, devraient favoriser le commerce. Mais d’autres pourraient le réduire, si elles imposent des contraintes, parfois coûteuses, en termes de droit du travail, de sécurité, de normes environnementales.

Certaines sont plus ambiguës. Les appellations d’origine permettraient certes aux producteurs français de vendre davantage de Chablis aux États-Unis, mais les producteurs américains qui utilisent abusivement l’appellation exporteraient moins. Le cas des investissements directs, dont la sécurisation est devenue un des objectifs majeurs des accords de la nouvelle génération, est lui aussi ambigu. Le traité sera défavorable au commerce mondial si la production sur place se substitue aux exportations. Il lui sera favorable s’il favorise la délocalisation d’une production destinée au marché national ou aux marchés tiers.

Mais il est vrai que ce type d’investissement a davantage été porté par la prolifération des zones franches d’exportations que par les traités commerciaux. Les effets nets de ces dispositions a-commerciales sur le commerce mondial sont donc incertains.

Le poids des règles d’origine

L’effet négatif le plus évident, mais aussi le plus négligé, est relatif aux règles d’origine. Le Canada est ainsi engagé dans un accord avec la Corée et le Costa Rica. Sans règles d’origine, les exportations du Costa Rica destinées à la Corée pourraient transiter par le Canada et échapper ainsi aux droits de douane coréens. Les traités fixent donc les critères que doivent respecter les importations pour être exonérées des droits de douane.

Il s’agit généralement d’une part minimale de composants ou de valeur ajoutée produite dans le pays partenaire. Ces règles encourageront donc les producteurs canadiens à incorporer davantage de composants produits au Canada, même s’ils sont moins compétitifs, que des composants importés. Les traités de libre-échange pèsent alors sur le commerce mondial des biens intermédiaires, la moitié du commerce mondial.

La multiplication des traités commerciaux, qui entremêlent les règles d’origine – le « bol de spaghetti » de l’économiste Jagdish Bhagwati – est à ainsi à contre-courant de la dynamique commerciale des années 1990 et 2000. Celle-ci était en effet fondée sur la mondialisation des chaînes de valeurs et l’éparpillement dans le Monde des différentes étapes du processus de production.

Par ailleurs, les règles d’origine augmentent les coûts du commerce puisqu’il faut prouver leur respect aux services douaniers. Ce coût supplémentaire, véritable droit de douane implicite, est parfois supérieur au droit de douane que le traité commercial élimine. Or, beaucoup de pays à droits faibles, comme Singapour, qui a des droits nuls, sont entrés dans de nombreux traités commerciaux.

Si les coûts associés ne sont pas compensés par l’exonération douanière, les entreprises potentiellement bénéficiaires peuvent alors être amenées à y renoncer.

Des « méga-accords » en difficulté

Les méga-accords de la « nouvelle génération » signés ou négociés comme le traité transpacifique (TPP), le traité entre l’UE et le Canada (CETA) ou le traité transatlantique (TIPP) sont aujourd’hui en difficulté. Ils se retrouvent coincés entre ceux, nombreux, qui les considèrent comme une nouvelle avancée vers une mondialisation indésirable, et d’autres, moins entendus, qui en soulignent les effets pervers. Avec souvent, des droits de douane pratiqués déjà très bas, l’élimination des droits de douane est un leurre. Mais si ces accords de la nouvelle génération sont accusés, non sans raison, de fragiliser l’OMC et son multilatéralisme, force est de reconnaître qu’ils traitent aussi des thèmes dont ils n’ont pas pu se saisir.

Ce sont d’ailleurs certains de ces nouveaux thèmes, plus ou moins liés au commerce, qui ont mobilisé les opinions publiques et qui imposeront aux futurs accords, si tant est qu’il y en est, un nouvel équilibre entre les mesures d’ouverture qui favorisent le commerce et les mesures de protection –normes sociales ou environnementales, appellations d’origine, etc.- qui le limitent. Mais l’expansion du commerce international n’est pas un but en soi s’il n’atteint pas ses objectifs : favoriser l’emploi et l’améliorer le bien-être des populations.

The Conversation

Jean-Marc Siroen, Professeur d’économie internationale, Université Paris Dauphine – PSL

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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