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« Achetez gaulois ! »

Yildiz Hélène, Université de Lorraine

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Made in France (2015) *Full* »*MoVie* youtube.com

« Nos ancêtres les Gaulois »… « Identité nationale »… force est de constater que de plus en plus de messages explicites sont diffusés à travers tout le pays. Cette terminologie réveille et glorifie notre sens patriotique et nationaliste. On voit d’ailleurs fleurir autour de soi de plus en plus de drapeaux bleu-blanc-rouge… Dans toutes les strates de notre société s’insinue ce leitmotiv : Français, achetez francais ! Le mot d’ordre : protéger notre pays. Mais contre qui ?

Dans les rayons, des panonceaux annoncent la couleur : privilégiez « made in France » ! Achetez français !
Les sondages sont unanimes : les Français seraient à plus de 70 % sur le territoire à vouloir acheter français, et même à des prix supérieurs.

Suite à ces matraquages publicitaires, le consommateur lambda, exacerbé dans son ethnocentricité, change-t-il réellement ses comportements et privilégie-t-il l’achat de produits français ?
Le responsable du Credoc, dans une interview, pense, lui, « qu’on peut faire confiance aux Français, ils doivent acheter français »…

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kitchaboy/Flickr, CC BY

Aux origines du concept d’ethnocentrisme

Retour à l’histoire, l’ethnocentrisme est un concept né chez nos voisins américains et a été mesuré par Shimp et Sharma en 1987. Ces derniers ont développé une échelle de ce concept dont la majorité des items exprime les idées suivantes : « je ne dois pas acheter des produits étrangers car sinon je vais mettre en péril l’emploi de mes compatriotes, je dois protéger mon pays. » « Les produits étrangers ne devraient pas être vendus dans les commerces américains »…

Un concept fort qui défend radicalement le « nous » contre tous les autres !
Il est d’ailleurs étonnant de remarquer que c’est une échelle qui a été fort utilisée par les chercheurs aux EU mais aussi dans un pays comme la Turquie dont la population affiche un haut niveau de patriotisme et de nationalisme. D’ailleurs, les recherches mettent en lumière que les antécédents du concept d’ethnocentrisme sont notamment le patriotisme et le nationalisme.

L’épicerie À la Mère de Famille (depuis 1761) à Paris.
Luc Legay/Flickr, CC BY-SA

La face cachée de l’ethnocentrisme

Des travaux de recherche peuvent éclairer le lecteur sur la réalité de l’impact de l’ethnocentrisme sur le comportement d’achat de produits français. Ainsi, notre étude (Yildiz et Heitz-Spahn, 2015) sur un échantillon de plus de 900 individus, a analysé les groupes dont le niveau d’ethnocentricité était élevé et le groupe dont le niveau était le plus faible mais qui étaient civiquement engagés dans leur lieu de vie.
Et il s’avérait, toutes choses égales par ailleurs, que plus les individus étaient engagés au sein de leur lieu de vie plus ils privilégiaient l’achat de produits locaux. Contrairement aux personnes qui avaient un degré d’ethnocentricité élevé mais qui in fine ne le démontraient guère à travers leurs comportements d’achat de produits locaux.

Deux cadres d’éclairage peuvent expliquer ces résultats. La première, la théorie de l’engagement (Kiesler, 1971) issue du champ de la psychologie-sociale tranche : ce sont nos actes qui nous engagent et qui prédisent d’une certaine manière nos comportements futurs. En l’occurrence, plus je vais agir au sein de mon lieu de vie plus je vais privilégier mon lieu de vie sous différentes formes notamment l’achat de produits issus de mon lieu de vie.

Pour compléter ce premier cadre, la seconde, Pierre Bourdieu, père fondateur de la théorie du capital social, a montré que les liens étaient une source de richesse fondamentale au sein d’une communauté. Ainsi, plus les membres d’une communauté interagissent entre eux, plus ils s’engagent au sein de leur communauté et par effet de réciprocité plus ces liens génèrent de la richesse sociale, économique, culturelle… (Putnam, 2001)

Acheter local…
Jean-Louis Zimmermann/Flickr, CC BY

Quelles perspectives ?

À retenir donc que les entreprises et les commerces doivent surtout communiquer sur leurs propres actions au sein de leur lieu de vie pour sensibiliser les consommateurs, et notamment ceux déjà engagés dans ce lieu de vie.
Un commerce indépendant redistribue la presque totalité de son bénéfice sur son territoire alors que la multinationale le rapatrie vers des cieux plus cléments. Il faut le communiquer !

L’impulsion doit être donnée aux citoyens/consommateurs par un engagement civique mais, il est nécessaire de trouver un sens à l’avenir, un fil conducteur sur les différents territoires pour s’engager. « Je m’investis dans ma commune, mais pour quoi ? »

La première motivation universelle et prioritaire pourrait être celle de la préservation de l’environnement et de la protection de l’espèce humaine (cf l’astrophysicien Hubert Reeves).
Tout au long de ce fil conducteur le leitmotiv peut-être d’agir sur l’ensemble du territoire avec cet objectif ou, en d’autres termes, tenter de « vivre » la commune en harmonie avec l’environnement naturel et en impliquant l’ensemble des acteurs qui la composent.
En « actionnant » cette motivation les élus communaux peuvent stimuler l’engagement civique de leurs concitoyens-consommateurs ou consom’acteurs.

Y parviendra-t-on en développant des zones commerciales au profit de grands groupes au détriment des petits commerces ou des petites entreprises du centre-ville ?

Y parviendra-t-on en développant à l’infini des lotissements au mépris de l’environnement naturel et des terres agricoles ?

Y parviendra-t-on en développant des aménagements commerciaux afin d’attirer des flux touristiques sans répondre aux besoins des concitoyens ?

Dans une rue commerçante de France…
Pierre-Alain Dorange/Flickr, CC BY-SA

In fine, ce qui semble primordial, ce n’est pas tant de se protéger des produits étrangers mais plutôt de faire prendre connaissance de l’importance des territoires et de la protection qui leur est due.

Outre-Rhin, quelques expériences d’écoquartiers impulsés par les pouvoirs publics et par des entreprises privées engagées peuvent être données en exemple de ce type d’initiative politique. L’objectif de ces quartiers être autonomes sur le plan énergétique mais aussi alimentaire.

Par ailleurs, certaines régions mettent en place des plans de communication pour faire face à la baisse de fréquentation dans les commerces. On notera que leurs messages publicitaires ne font pas appel à des motivations aux relents un peu troubles mais tentent de faire prendre conscience des vrais dangers pour leurs territoires des comportements d’internautes/citoyens. « Lass den click in deine stadt ».

The Conversation

Yildiz Hélène, Maître de Conférences Habilitée à Diriger des Recherches Université de Lorraine, Université de Lorraine

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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