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Des chars aux éoliennes, irremplaçables « terres rares »

Ludovic Jeanne, École de Management de Normandie

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Les éoliennes défigurent le paysage (Photo credit: Olivier Tétard via VisualHunt.com / CC BY-SA)

Ces éléments chimiques « stratégiques », devenus essentiels à la construction de nos équipements high-tech, font l’objet d’une attention grandissante de la part d’entreprises de hautes technologies comme d’associations de défense de l’environnement, voire de rivalités géo-économiques entre États.

En France, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques vient ainsi de remettre son rapport sur « Les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques » à l’Assemblée nationale.

La problématique des terres rares concerne aussi bien des filières industrielles comme l’automobile, que de lointains territoires français comme Wallis et Futuna.

Pas si rares que ça

Le terme désigne des métaux correspondants à 17 éléments chimiques.

Dans la classification périodique des éléments (table de Mendeleïev), il s’agit de la famille des lanthanides, qui regroupe 15 éléments chimiques allant du numéro atomique 57 au numéro atomique 71 (le numéro atomique désignant le nombre de protons du noyau d’un atome. Il est noté « Z »).

On leur ajoute le scandium (Z=21) et l’yttrium (Z=39) pour constituer le groupe des 17 éléments chimiques concernés. Ils sont ainsi regroupés du fait de leurs propriétés voisines et exceptionnelles, notamment sur les plans électrochimique et magnétique.

Ces éléments chimiques ne sont en réalité pas si rares, dans le sens où ils sont assez abondants dans la croûte terrestre. Mais leur grande dispersion dans les minerais rend difficiles et coûteuses leur extraction et leur séparation. Cela explique que l’identification de gisements exploitables soit un enjeu si considérable.

Ce groupe d’éléments chimiques se divise en terres rares « légères » (Z=57 à 62) et « lourdes » (tous les autres). Ce sont ces dernières, relativement moins répandues, que l’on retrouve fréquemment dans les applications high-tech.

Les terres rares sont généralement récupérées dans deux types de minéraux : la bastnaesite et la monazite. Ce sont les dépôts de ces deux minéraux qui sont recherchés par les géologues des offices nationaux spécialisés et par des opérateurs miniers privés du monde entier pour identifier des gisements potentiellement exploitables.

Reportage d’Arte sur les terres rares (Global Metal Broker, 2014).

De remarquables propriétés

Ils interviennent dans la production de composants présents dans les téléphones portables et smartphones, les appareils hi-fi, télé et vidéo, les écrans d’ordinateurs, les tablettes, les moteurs hybrides. Ils entrent également dans la fabrication des aimants permanents nécessaires à beaucoup de ces produits.

Ils sont tout aussi essentiels à la production de lampes fluorescentes et à basse consommation, d’unités médicales d’examen aux rayons X, de nombreux alliages ; ils jouent également un rôle important dans le processus de raffinage du pétrole.

Chimiquement, on les utilise comme catalyseurs, éléments d’alliages pour en modifier les propriétés mécaniques ou électromagnétiques ; ils entrent encore dans certains processus optiques (lampes fluorescentes, lasers).

Des équipements militaires aux technos vertes

L’approvisionnement en terres rares impacte donc la plupart des technologies du XXIe siècle, y compris militaires qui en dépendent très largement, sinon totalement.

Pour l’armée américaine, le recours à ces éléments concerne ainsi tous les systèmes utilisant des lasers, les systèmes de communication, les munitions guidées à haute précision, les radars (l’Aegis Spy-1), les dispositifs de vision nocturne, les technologies liées aux satellites, les chars (dont le tank M1A2 Abrams, notamment par leur intervention dans les alliages utilisés pour les blindages dits « intelligents »), ainsi que dans l’aéronautique.

Ces éléments chimiques sont donc remarquables pour leurs qualités à la fois électrochimiques, magnétiques ou optiques ; dans l’état actuel des connaissances et des technologies, aucune autre série d’éléments chimiques ne présentant de telles propriétés : ils sont irremplaçables.

Les terres rares interviennent également dans la plupart des technologies existantes ou innovantes liées à l’énergie et à l’environnement ; on pense ici aux turbines des éoliennes ou à ces additifs aux carburants destinés à réduire la pollution. Autant d’actions cachées et cruciales de ces matériaux dans notre quotidien.

Rares et très convoitées

L’intensité des enjeux autour des terres rares provient de la combinaison de la géographie physique et de la géopolitique.

Il faut d’abord rappeler que la plupart des matières premières essentielles à nos économies ne sont pas réparties de manière homogène à la surface de la Terre. Ensuite, les conditions technologiques, financières, juridiques et économiques permettant l’exploitation des gisements ne sont pas toujours réunies. Cela réduit d’autant la disponibilité de chaque matière première à un moment donné.

Les terres rares n’échappent pas à cette problématique géographique et donc géopolitique. Quelques données statistiques simples fournies par le US Geological Survey permettent ainsi de contextualiser le cas des terres rares, montrant une nette domination chinoise sur ce marché (voir ci-dessous).

US Geological Survey, Mineral Commodity Summaries, 2013, 2014 et 2015., Author provided

Une telle situation explique que les industries concernées par les terres rares se mobilisent aujourd’hui pour trouver des alternatives d’approvisionnement et des solutions technologiques pour réduire les quantités nécessaires ou même s’en passer ; sans parler du fait que l’exploitation des terres rares constitue une activité très polluante.

On voit ainsi émerger le urban mining (ou « exploitation minière urbaine ») qui consiste à recycler les métaux contenus dans nos objets technologiques.

Paradoxalement cela augure donc d’innovations à venir nombreuses et déterminantes qui, malgré la lenteur de leurs effets, contribueront à long terme au développement de technologies ayant moins d’impact sur l’environnement.

The Conversation

Ludovic Jeanne, Directeur de l’Institut du Développement Territorial (IDéT), Laboratoire Métis, École de Management de Normandie

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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