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Mieux préparer l’élève‑ingénieur à la vie de l’entreprise en cinq leçons

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Le travail par projets.
hackNY via Visualhunt , CC BY-SA

Jean-Luc Koning, Institut polytechnique de Grenoble (Grenoble INP)

Pendant ses années de formation en école d’ingénieurs, un élève peut malheureusement avoir une fausse idée de ce que lui réserve le monde du travail sitôt qu’il aura son diplôme en poche. Il devra trouver un emploi, se réveiller tôt, ne pas sortir tous les soirs avec ses amis…

Certes ! Mais il n’y a pas que ça. En effet, beaucoup de choses qu’on apprend en école ne nous préparent pas à réussir au bureau. Et le risque est grand de sous-estimer à quel point le « monde réel » est vraiment différent, si on reste sur des contenus enseignés classiquement.

Nous présentons dans cet article un contexte pédagogique en lien avec les entreprises. Il s’agit des projets industriels qui portent sur de réelles problématiques techniques et scientifiques du moment qui sont soumises aux écoles d’ingénieurs par des entreprises partenaires.

Il nous semble que ces projets sont un outil privilégié pour confronter l’élève-ingénieur à la (vraie) vie qu’il rencontrera en entreprise dès sa sortie de l’école.

Voici cinq leçons qu’il va devoir apprendre durant ces projets… et dans la vraie vie.

1. Le problème à résoudre n’est jamais complètement défini

En situation scolaire, les exercices qui sont donnés ont des paramètres clairement identifiés. Mais dans le monde du travail, cette situation ne se produit que très rarement.

Au lieu de ça, les consignes sur ce qu’on a à faire sont souvent ambiguës. On nous donne une tâche, mais elle peut s’avérer plus importante ou conséquente que ce à quoi on s’attendrait.

Pour réussir, l’ingénieur devra donc se familiariser avec des objectifs peu clairs et prendre l’initiative de trouver ce qui est à fournir.

Dans les projets industriels, les énoncés ne sont jamais clairement définis. C’est l’occasion pour l’équipe d’élèves de prendre de la hauteur (think out of the box). Ils apprennent à se donner plus de temps que ce qu’ils ne prévoyaient pour accomplir les diverses tâches, à prévoir plus de marge pour les cas où le projet exigerait davantage de temps, à rechercher des exemples passés, à demander autour d’eux à d’autres équipes, à des experts, à faire repréciser par l’entreprise ce qu’elle attend réellement.

Résoudre de vrais problèmes.
Austin Community College/Visual Hunt, CC BY

2. La vie n’offre pas toujours une seconde chance

En école, on a toujours le semestre suivant, ou la session de rattrapage de septembre, pour récupérer des points. Mais dans la vie réelle, le bouton « remise à zéro » n’existe pas. Être adulte signifie avoir affaire à des collègues, des projets ou des situations qu’on aimerait parfois facilement changer ou éviter mais qu’il faut apprendre traiter de façons saines.

En projet industriel, le futur ingénieur sera amené à apprendre au jour le jour la meilleure façon de gérer des relations humaines difficiles, aussi bien avec ses collègues qu’avec l’entreprise. C’est un apprentissage sur le long terme.

S’il n’aime pas un aspect de son projet, il devra en profiter pour développer des compétences nouvelles dans ce domaine.
S’il commet des erreurs (ce qui ne manquera pas d’arriver) il devra apprendre à ne pas paniquer. Il devra attaquer son erreur, déterminer où il s’est trompé et travailler en équipe pour la réparer.

Non, on ne peut pas changer les règles du jeu en cours de projet industriel, mais on va apprendre à faire face aux diverses situations délicates.

3. On n’est pas systématiquement récompensé de ses efforts

Dans la plupart des enseignements donnés en classe, le travail acharné est récompensé. Même si on est plutôt mauvais dans une matière, si l’enseignant s’aperçoit qu’on réalise un travail acharné, qu’on y passe beaucoup d’heures, qu’on participe activement en TD et en TP, on peut s’en sortir. C’est comme ça d’ailleurs que nombre d’étudiants de l’université admettent avoir obtenu leur diplôme.

Mais pour ce qui concerne le monde professionnel, l’effort seul ne mène pas très loin. Certes, la quantité de travail est reconnue ; mais à la fin de la journée, ce sont bien les résultats qui comptent.

En projet industriel, si vous êtes resté au travail jusqu’à 20 heures et que vous n’avez toujours pas envoyé le rapport à temps, ou si vous êtes arrivé très tôt le matin, mais que vous avez oublié de passer cet appel téléphonique important, votre effort n’a pas vraiment d’importance.

Si vous n’êtes pas fiable dans votre investissement sur le projet ou que vous ne respectez pas une date limite, vous avez échoué.

4. L’essentiel n’est pas la quantité de pages

Fini les rapports de travaux pratiques qui doivent faire plusieurs pages ou en tous cas avoir une certaine épaisseur pour donner l’impression qu’on a bien compris et beaucoup travaillé.

On est habituellement récompensé pour les gros dossiers et pénalisé lorsqu’il y a peu de matière. On est conditionné pour étoffer nos arguments avec force exemples et références.

Mais cela est très éloigné de la réalité du monde professionnel. En projet industriel, délayer les choses et produire beaucoup de papier ne convaincra personne et irritera les gens. Il faudra aller au but, le plus rapidement possible.

Lorsqu’on aura à présenter ses idées devant un groupe de personnes, il faudra mettre en avant les choses importantes qu’on souhaite souligner. Avant d’envoyer un courrier électronique, il faudra le relire et le modifier afin qu’il ne contienne pas plus d’un ou deux paragraphes.

Cet effort vers la concision aidera plus tard l’ingénieur à se démarquer positivement.

5. Le succès ne se résume pas à impressionner les autres

En école d’ingénieurs, on doit répondre souvent à une personne – notre professeur.

Au travail, notre patron a un patron, et ce patron a lui-même un patron. Dans de nombreuses situations, notre patron et notre équipe doivent rendre compte à de multiples parties prenantes, différents services ou départements.

Toutes ces personnes ont leur mot à dire sur la qualité et la quantité de ce qu’on produit. C’est pourquoi il est important dans chaque situation de travail de traiter les autres avec respect et de satisfaire voire même de dépasser leurs attentes. Tous ont leur mot à dire sur la manière dont on s’y prend et sur ce qu’on devrait faire.

La transition vers le « monde réel » peut être difficile, mais en développant ses compétences en communication, en affinant ses capacités de gestion du temps et en s’appuyant sur l’ingénieur en charge du projet, cela peut être plus simple.

On fait partie d’un écosystème complexe. Il est nécessaire de regarder autour de nous pour apprendre à connaître ce monde qui nous entoure.


The ConversationNota : Cette étude repose sur plus de 450 projets menés avec quelques 250 entreprises. Concrètement, tous les élèves-ingénieurs de quatrième année à l’Esisar-GrenobleINP, constituent des équipes de trois, et travaillent pendant un semestre entier (18 homme/mois, soit 2 400 heures d’études et de réalisation) sur un projet de R&D encadré par des ingénieurs seniors rattachés à l’école.

Jean-Luc Koning, Directeur des Projets Industriels, Institut polytechnique de Grenoble (Grenoble INP)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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