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Jésus était-il un terroriste ?

Michaël Girardin, Université de Lorraine

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L’évangile originel de Jésus et de ses apôtres (Galen Currah, capture YouTube)

Il existe une rumeur selon laquelle Jésus aurait été un Sicaire – un combattant juif vivant dans la clandestinité et égorgeant des Romains et des Juifs favorisant l’occupation étrangère. Cette thèse, soutenue en 1967 par le théologien Samuel Brandon et traduite en français sous le titre « Jésus et les Zélotes », a connu une popularité certaine et suscité d’innombrables travaux : que l’on adhère ou non à ses conclusions, il faut reconnaître que cet essai stimulant a relancé bien des questionnements sur l’identité du « Jésus historique ». Était-il un Sicaire ?

La théorie d’un Jésus « sicaire »

Les arguments sont relativement simples : Jésus ne fait-il pas, à plusieurs reprises, des déclarations ambiguës ? « Je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée » (Matthieu 10.34), « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive » (Matthieu 16.24), la croix étant le châtiment des Sicaires, etc. Il invite même ses disciples à acheter une épée (Luc 22.36) et l’un n’hésite pas à s’en servir au jardin de Gethsémané (Matthieu 26.51 ; Marc 14.47 ; Luc 22.49-50 ; Jean 18.10). Dès lors, Samuel Brandon conclut que les évangélistes ont dissimulé la véritable identité de Jésus et construit, après coup, leur personnage de paix. Marc aurait, par exemple, transformé « Judas le Sicarius » en Judas « Iscariote » ou encore Simon « le Zélote » en araméen « Cananite » pour dissimuler l’engagement politique des disciples (Marc 3.18-19).

Qui étaient les Sicaires ?

Mais il faut revenir sur la cause des Sicaires pour voir si l’on peut y reconnaître Jésus. Le mouvement naît en l’an 6, en opposition au recensement de Quirinius qui établit l’assiette de l’impôt romain. Si le Nouveau Testament (Actes 5.37) affirme que Judas le Galiléen est mort, l’historien Flavius Josèphe n’en dit mot. Ce que l’on sait en revanche, c’est que ses fils sont crucifiés dans les années 40 puis que son petit-fils Menahem fait partie des meneurs de la révolte de 66, celle-là qui mène à la destruction du temple de Jérusalem en 70. C’est encore un membre de la famille qui soutient le siège de Massada en 73, dernière place forte rebelle, célèbre pour le suicide de ses défenseurs.

Massada, dernière place forte des Sicaires.
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Il s’agit donc d’un mouvement dynastique, structuré et pérenne, qui se radicalise à partir de 44 après l’annexion de la Galilée. Les Sicaires mènent des attentats symboles dans Jérusalem contre de hauts personnages accusés de favoriser le pouvoir romain ; ils lancent des raids dans la campagne avec un certain soutien populaire et disparaissent avant l’arrivée des renforts. Ils sont insaisissables, tour à tour terroristes et guérilleros. D’après Josèphe, ils interdisent à leurs compatriotes de supporter un autre maître que Dieu, c’est-à-dire de tolérer le pouvoir romain.

Qui était Jésus ?

Jésus, selon ce qui est rapporté, s’affiche en public et argumente avec ses opposants ; il ne prêche jamais ouvertement l’assassinat et, lorsqu’on lui demande si l’on peut honorer Dieu tout en reconnaissant l’empereur comme maître en payant l’impôt, il aurait répondu de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu 22.21 ; Marc 12.17 ; Luc 20.25 ; Évangile de Thomas, 100).

Il va même plus loin et aurait choisi un collecteur d’impôts comme disciple (Matthieu 9.9 ; Marc 2.14 ; Luc 5.27). « Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée » dit-il (Matthieu 26.52) et rien, dans son procès, ne laisse entendre qu’il était accusé d’être un Sicaire.

Monnaie des rebelles an 1 de la liberté de Jérusalem.
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De même, Simon le Zélote était « zélé » pour sa foi, car on sait maintenant que le mot ne qualifie un groupe « révolutionnaire » qu’à partir de l’été 66. Les Zélotes seraient issus de ce groupe de prêtres qui a cessé d’offrir les sacrifices au nom de l’empereur et appelé les Sicaires à Jérusalem pour chasser la garnison romaine. Auparavant, le terme gardait son sens plus neutre de zélé. « Iscariote », quant à lui, semblerait être un toponyme indiquant l’origine de Judas. On peut se demander s’il était vraiment pertinent pour les évangélistes de modifier ces termes ambigus au lieu de simplement les effacer. Certainement, ils ne devaient pas y voir le sens que nous leur donnons rétrospectivement.

Jésus était-il un « terroriste » ?

L’ouvrage de Samuel Brandon a eu un rôle important dans la redécouverte des Sicaires. On les distingue désormais bien mieux des Zélotes comme deux groupes « révolutionnaires » aux objectifs, aux idéologies et aux méthodes très distinctes et aucun des deux ne ressemble vraiment à l’image de Jésus que permettent de voir les évangiles. On peut arguer que ces écrits déforment la vérité, mais en l’absence d’autre source, il est délicat de proposer un autre regard sans tomber dans la spéculation. Peut-être un autre document sera-t-il un jour découvert, qui portera à changer ces conclusions.

Aujourd’hui, après d’innombrables travaux sur la question, rares sont les historiens qui écrivent encore que Jésus était un Sicaire ; cependant, cette hypothèse a permis de revisiter le personnage parmi les écoles de son temps. On l’a classé Essénien à partir de quelques phrases des manuscrits de la mer Morte et de la figure complexe de Jean le Baptiste, mais la piste pharisienne est plus prometteuse : si les Pharisiens sont les plus présents dans les disputes théologiques avec Jésus, c’est justement parce qu’il n’était pas assez éloigné de leur doctrine pour qu’ils lui tournent le dos. En revanche, aucune mention des Esséniens ni des Sicaires n’est clairement visible, ce qui convainc que ces groupes ne se reconnaissaient pas dans la prédication de Jésus.

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Michaël Girardin, ¨Doctorant en histoire ancienne, Université de Lorraine

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