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Toutankhamon et le poignard venu de l’espace

Diane Johnson, The Open University

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Toutankhamon (photo Pixabay.com)

Les savants se sont longtemps demandé si les Égyptiens de l’Antiquité utilisaient le métal venant de météorites pour fabriquer des objets en fer. Actuellement, l’analyse d’une daguetrouvée dans la tombe de Toutankhamon en a donné la preuve évidente et la certitude aussi que les Égyptiens connaissaient l’origine céleste de ce métal. Mais pourquoi utilisaient-ils cette ressource métallique inhabituelle alors qu’il y a plein de fer sur la Terre ?

Jusqu’à une époque récente, nous ne pensions pas que les Égyptiens soient particulièrement doués pour fabriquer des objets en fer avant une date tardive de leur histoire, soit vers 500 av. J.-C.. Il n’existe pas de preuve archéologique significative indiquant un travail de ce métal le long de la vallée du Nil. Et même des quantités importantes de fer fondu, dans des déchets trouvés dans la région du delta, pourraient en fait provenir de tentatives pour fabriquer du cuivre. À la mort de Toutankhamon, 800 ans auparavant, le fer était un métal plus rare que l’or.

Sur notre Terre, la source naturelle de fer, la plus habituelle, c’est le minerai provenant de roches qui contiennent du fer, chimiquement mélangé à d’autres éléments. Il faut donc le traiter en le chauffant avec d’autres matériaux afin d’en extraire un fer d’encore mauvaise qualité, lequel est alors martelé pour en retirer les impuretés. Cela demande un savoir-faire considérable, un effort et des outils dont nous n’avons aucune preuve dans l’Égypte antique.

Il y avait des réserves abondantes de minerai de fer à la fois en Égypte et dans la péninsule du Sinaï et des données textuelles indiquent que les Égyptiens connaissaient ce métal très tôt dans leur histoire. Mais le minerai était surtout utilisé pour créer des pigments destinés à l’art et au maquillage. L’explication, ce pourrait être que ce minerai de fer facilement accessible était de piètre qualité et, du même coup, ne pouvait être transformé en un métal davantage utilisable.

Une source interstellaire

Mais le fer ne provient pas seulement de son minerai. Nous avons la preuve que, dans le monde entier, de nombreuses sociétés préhistoriques privées de minerai de fer ou de la technique de la fonte utilisaient du fer métallique trouvé dans des météorites. Ce don précieux de la nature exigeait cependant d’être modelé dans une forme utile, avec pour résultat des objets rudimentaires comme des pièces métalliques fines pouvant servir de lames ou être façonnées en formes diverses.

Si les Égyptiens de l’Antiquité savaient que le fer pouvait être contenu dans les météorites venant du ciel – le siège des dieux –, il était susceptible de posséder, à leurs yeux, une importante valeur symbolique. Auquel cas, ils auraient pu considérer le fer, sous quelque forme que ce soit, comme un matériau divin, interdit d’utilisation pour une pratique de tous les jours. Et uniquement réservé aux personnes de haut rang.

Les météorites peuvent même avoir influencé plus directement la religion d’État de l’Égypte ancienne. Par exemple, la pierre « Benben », adorée dans le temple du Soleil dédié au dieu Râ à Heliopolis, pourrait bien avoir été une météorite, le mot benben venant du verbe weben qui signifie « briller ».

Le plus vieil objet en fer de l’Égypte antique qu’on connaisse : une perle en fer provenant d’un météorite, trouvé dans un cimetière préhistorique.
Diane Johnson/The Manchester Museum, Author provided

La langue de l’époque indique également la façon dont les Égyptiens percevaient le fer, tout comme le fait qu’ils le savaient provenir des météorites. Le plus ancien des hiéroglyphes pour le dénommer a donné lieu à de grands débats chez les traducteurs, qui confondaient souvent les mots cuivre et fer. Le terme bi-A a été finalement traduit par « fer » mais pourrait bien se référer aussi à des matériaux durs et denses semblables au fer.

Le mot a été utilisé dans de nombreux textes, dont ceux funéraires des Textes de la Pyramide – des écrits religieux datant approximativement de 2375 ans avant notre ère. Mais il est susceptible d’avoir été composé bien avant, sculpté sur les murs intérieurs de pyramides. Ces références textuelles relient le fer à des aspects du ciel et aux ossements du roi défunt, promis à vivre à jamais sous la forme d’une étoile éternelle dans le ciel.

Depuis le début de la XIXᵉ dynastie (approximativement 1295 av. J.-C.), un nouvel hiéroglyphe apparaît pour dénommer le fer « bi-A-n-pt », traduit littéralement par « le fer venu du ciel ». Pourquoi ce nouveau terme apparaît-il sous cette forme exacte, à ce moment précis ? On ne le sait pas, mais il fut associé plus tard à tout ce qui est fer métallique. L’explication évidente à l’émergence soudaine de ce mot pourrait bien venir d’un choc (environnemental) majeur ou d’une pluie de météorites à très grande échelle.

Nombre d’Égyptiens de l’époque en auraient été témoins, ce qui laisse peu de doutes sur la provenance exacte de ce mystérieux métal. Un événement probable pourrait bien en être la cause : l’impact de la météorite Gebel Kamil dans le sud de l’Égypte. Même si la date exacte de l’événement reste inconnue, nous savons, en nous basant sur l’archéologie de l’époque, qu’il intervient dans les 5000 dernières années.

Signification rituelle

Le fer est également lié à des objets cultuels comme ceux utilisés dans la cérémonie de l’« ouverture de la bouche », un rituel célébré à l’entrée de la tombe destiné à transformer la momie en être latent doué d’une vie potentielle. Des textes postérieurs, qui incluent des inventaires de temples faisant allusion au matériel utilisé dans la cérémonie, renvoient aux lames de fer utilisées comme « les deux étoiles ». Il se peut que le fer ait joué un rôle important dans cette cérémonie en association avec les météorites, un phénomène naturel puissant dont la force inhérente pouvait accroître la puissance du rituel.

Nous savons aussi que les lames d’épée en fer avaient suffisamment d’importance pour qu’on les mentionne dans le courrier diplomatique. L’exemple le plus connuvient d’une lettre du roi du Mitanni, Tushratta (aujourd’hui le nord de l’Irak et de la Syrie), qui détaille la dot de sa fille destinée à devenir l’épouse du grand-père de Toutankhamon, le roi Amenhotep III. Curieusement, cette missive parle d’une lame d’épée de habalkinu, un mot mal documenté dérivant d’une langue hittite ancienne, et que certains linguistes ont traduit par « acier ».

Seule une analyse plus détaillée de la composition chimique et de la microstructure d’autres objets pourra nous indiquer si les météorites représentent une origine courante du fer produit par les Égyptiens de l’Antiquité. Nous devons également déterminer quand, où et comment la fonte de minerai de fer terrestre a débuté en Égypte : cela nous guidera plus avant dans notre connaissance des origines, de l’évolution et des techniques métallurgiques spécifiques à l’Égypte antique. En combinant ces informations avec ce que nous savons de l’importance culturelle du fer, nous pouvons commencer à appréhender réellement la vraie valeur de ce métal dans l’Égypte de jadis.

The Conversation

Diane Johnson, Post Doctoral Research Associate, Department of Physical Sciences, The Open University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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