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« Le collier rouge », le juge et le soldat

Adapté du roman de Jean-Christophe Rufin, le film de Jean Becker met à mal « l’héroïsme de pacotille ».

François Cluzet et Nicolas Duvauchelle, le bourgeois et le soldat, dans un face-à-face tendu en cellule. © Alain Guizard / ICE 3.
¬© Alain Guizard / ICE 3. Tournage du film « Le Collier Rouge », r√©alis√© par Jean BECKER. Cormeilles-en-Parisis, Fort militaire, le 2 juin 2017.

Un chien aboie devant une prison, gueule jour et nuit, agace les habitants d’une petite ville, en cet été chaud de 1919. « C’est le fameux chien ? », demande un officier, en descendant de son automobile. Oui, c’est bien le chien du détenu, un prisonnier interprété par Nicolas Duvauchelle dans « Le collier rouge », un film de Jean Becker (sortie le 28 mars) adapté d’un roman de Jean-Christophe Rufin.

Quelques mois après la belle adaptation du livre de Pierre Lemaître par Albert Dupontel, « Au revoir là-haut », voici une nouvelle évocation de la guerre après la guerre, en cet été 19 où la France en a marre de l’abomination des années passées. Duvauchelle incarne ainsi Jacques Morlac, soldat en attente de son jugement pour « outrage à la Nation » le 14 juillet. L’acteur offre son « jeu instinctif et sauvage » à ce caporal révolté. « C’est vrai, je suis assez comme ça, je ne fais pas trop de psychologie, je suis plus à l’instinct », confiait Nicolas Duvauchelle, lors de l’avant-première du film à l’UGC Ciné-Cité de Strasbourg.

Une adaptation fidèle, « à l’ancienne »

L’officier envoyé pour le juger, Lantier du Grez, est joué parc François Cluzet, venu interroger le prisonnier, dans une cellule sombre où il moisit, alors que dehors  l’attendent une femme (la charmante Sophie Verbeeck) et un enfant. Les lecteurs du roman savent ce qu’on lui reproche, les spectateurs le découvriront dans le film, avec cette adaptation fidèle par Jean Becker, réalisateur «  à l’ancienne » d’un cinéma provincial dans cette France dite « profonde » (« L’été meurtrier », « Les enfants du marais », « Effroyables jardins », « Dialogue avec mon jardinier », « Deux jours à tuer », « La tête en friche »…).

Le cinéaste a gardé « la simplicité » du livre, complété par des dialogues Jean-Loup Dabadie ; un huis-clos entre un fermier et un bourgeois, qui sont aussi des compagnons d’armes, ont tous deux connu les horreurs de la guerre. Filmé avec classicisme, « Le collier rouge » met ainsi à mal le patriotisme, la justice, et « l’héroïsme de pacotille » (évoqué par Nicolas Duvauchelle ci-après).

P.T.

« Le collier rouge », un film de Jean Becker, avec François Cluzet et Nicolas Duvauchelle (sortie le 28 mars).

Nicolas Duvauchelle : « C’est un personnage rebelle »

Votre personnage est un survivant, un pauvre gars de la campagne envoyé à la boucherie comme bien d’autres alors ?

Le Poilu et son chien. "Il était plutôt cabot", confie l'acteur
Le Poilu et son chien. « Il était plutôt cabot », confie l’acteur

Nicolas Duvauchelle : C’est ça, un gars qui est un peu en-dehors de la société, un paysan, c’est ce qui est arrivé à mon arrière-grand-père, qui a fait la guerre aussi. C’est quelque chose qui me parle, qui me touche, la moitié de ma famille est de la Somme. Ce qui me plaisait, c’est que c’est un personnage rebelle, il a ce côté un peu anarchiste, communiste, contre le pouvoir établi que j’aime bien. En 14, beaucoup étaient contents de partir à la guerre pour récupérer l’Alsace et la Lorraine qu’on avait perdu en 1870, les gens étaient contents d’y aller. Le fait d’avoir vu la guerre et de s’être rendu compte de ce qu’on leur faisait faire, il en veut à l’Etat. Et ce discours qu’il fait à la fin sur les chiens, c’est vraiment ça, on jette des médailles pour calmer tout le monde, il y a quelque chose qui nous dépasse, des intérêts économiques qu’on fait passer pour l’amour de la patrie.

Une grande partie du film se déroule en tête-à-tête dans la cellule avec François Cluzet, c’est la première fois que vous jouez ensemble ?

Oui, on se connait depuis quelques années et on voulait faire un film ensemble depuis longtemps. Et être tous les deux en face-à-face comme ça, c’était très plaisant, c’était dur, assez tendu, on tournait dans un vrai fort, au deuxième sous-sol, il ne fallait pas être claustro, c’était assez angoissant. Mais c’était une super rencontre et je suis très fier du résultat, il a une autorité assez naturelle, donc c’était assez facile à jouer. Les deux personnages se rejoignent sur le dégoût et les horreurs de la guerre qu’ils ont vu, malgré leurs différences, il y a un truc humain entre les deux.

« Un de mes seuls films que j’ai pu voir avec mes filles »

Un partenaire moins facile, c’était le chien ?

Oui, il était plus cabot, c’est le cas de le dire. Les enfants et les chiens, pour tourner avec, c’est compliqué, ils ne sont jamais en place, et lui était comme son maître, un peu rebelle. Il n’était pas super bien dressé, c’était donc un peu compliqué parfois, mais ça rend bien ; les chiens sont comme nous ils se déconcentrent, il y avait plein de monde donc ça l’effrayait aussi, ce n’était pas évident avec la pluie, le froid, des explosions, on a fait des heures sup avec lui, mais il y a un très beau résultat.

Avec ce film, vous entrez dans le cinéma de Jean Becker, qui représente une certain qualité française…

C’est un cinéma populaire, c’est ce que je voulais, j’étais très content d’être dedans, c’est un de mes seuls films que j’ai pu aller voir avec mes filles, il y a quelques scènes un peu dures de guerre mais elles ont adoré, je fais souvent des films violents ou un peu noirs, je ne peux pas les emmener, là j’étais très content de faire un truc plus grand public. C’est moins parisien que ce que je fais d’habitude, c’est vrai, mais on ne fait pas du cinéma que pour les Parisiens, heureusement, je suis très fier d’avoir fait ce film, c’était autre chose pour moi.

« On se demande comment ils ont pu tenir »

En tournant les scènes de guerre, vous avez pensé à votre aïeul ?

Forcément, on se demande comment ils ont pu tenir et pourquoi il n’y a pas eu plus de mutinerie que ça, la bataille de Verdun c’est 400.000 morts, c’est des boucheries, c’était affreux, des corps-à-corps dans les tranchées, à la baïonnette, c’est assez irréel, on a du mal à s’imaginer ça.

Le film sort en 2018, cent ans après, mais la guerre est encore très présente dans les familles, et cette histoire remet en cause l’héroïsme…

Ce n’est pas si loin que ça, c’est encore quelque chose d’assez concret. La vraie question, c’est pour quoi ? Est-ce que c’était nécessaire ? C’est un peu de l’héroïsme de pacotille, mon personnage refuse les honneurs qu’on veut lui donner, parce qu’il n’en a pas envie, je trouve ça bien de rester intègre, il y a un discours cohérent que j’aime bien.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

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