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La vengeance d’une femme

« Une part d’inconscient collectif a parlé à travers le film », constate Coralie Fargeat, réalisatrice de « Revenge ».

Sélectionné en compétition au 25ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, qui vient de se tenir, « Revenge » (sortie ce mercredi 7 février)  est le premier long-métrage de Coralie Fargeat. Dans les Vosges, la cinéaste était accompagnée de son actrice principale, Matilda Lutz, venue spécialement de Los Angeles pour la sortie française. Cette jolie demoiselle aux airs si doux devient une « killeuse » à l’écran : dans « Revenge », elle incarne une bimbo sexy, venue avec son amant dans un luxueux pavillon de chasse, où le couple est rejoint par les deux associés de monsieur. Violée par l’un, poussée du haut d’une falaise par un autre, noyée par le troisième, et même empalée, la belle survit à tout ça, et se transforme en guerrière. La course après une femme va s’inverser en une chasse à l’homme dans le désert, et la vengance s’achever dans un bain de sang (lire ci-après l’interview de la réalisatrice Coralie Fargeat).

« Les femmes ne doivent plus rester silencieuses »

Est-ce qu’en tournant « Revenge », l’idée était de faire un film féministe, qui revendique le « girl power » ?

Coralie Fargeat : "Je savais que le film serait violent, mais je ne voulais pas que cette violence soit totalement réaliste".
Coralie Fargeat : « Je savais que le film serait violent, mais je ne voulais pas que cette violence soit totalement réaliste ».

Coralie Fargeat : Oui, très tôt, c’était assumé d’avoir cette transformation de personnage qui permettait de manière, très symbolique et très iconique, de traiter l’affirmation et la lutte, une certaine forme d’inégalité et de déséquilibre en profondeur dans la société. Le film s’est construit de lui-même sans que j’ai besoin de me formuler ça à moi-même, mais une fois que c’était sur le papier, c’était limpide, clair comme de l’eau de roche, c’était ça.

« Revenge » sort en pleine période « Balance ton porc », avec ce film vous allez plus loin, c’est carrément « Massacre ton porc »…

(Rires) Evidemment, la lecture du film doit se faire à un niveau symbolique et métaphorique, le message n’est évidemment pas de dire qu’il faut tuer tout le monde. Mais c’est de dire que les femmes ne doivent plus rester silencieuses, elles doivent réussir à franchir tout ce qui fait qu’elles n’osent pas parler, qu’elles n’osent pas remettre en cause ce dont elles sont victimes, et pour ça, c’est toute la société qui doit changer. Dans le film, c’est fait de manière ultra-symbolique, par ce personnage qu’une force brute fait sortir d’elle-même et qui va se venger comme dans un opéra sanglant. Ces messages-là ont besoin de symboles, d’icônes, et je suis ravie que ce film et ce personnage puissent en devenir une. Je suis assez marquée par la force de tout ce qui peut être mis en place, dans notre société, pour que les déséquilibres perdurent et ne soient pas remis en cause. Le fait de ne pas rester silencieux, de faire du bruit, est un élément clé d’une forme de libération, de changement.

« C’est le cinéma avec lequel j’ai grandi »

Du coup, votre film va certainement devenir symbolique de l’époque ?

J’en serais la première ravie. Quand j’ai fait le film, l’affaire Weinstein n’avait pas éclaté, mais en tant que femme je suis infusée de ce que je ressens autour de moi, de ce que je vis au quotidien comme nombre de comportements intégrés, intériorisés, avec lesquels je fais sans même plus y penser, pour me sentir en sécurité dans l’espace public, un certain nombre de choses auxquelles on est confrontées en tant que femme. Evidemment, il y a une part d’inconscient collectif qui a parlé à travers le film, maintenant la coïncidence de timing entre la sortie du film et tout ce qui se passe va sans doute permettre cette rencontre et tant mieux.

A la présentation du film, vous avez évoqué le « bouillonnement » du cinéma de genre en France, d’où vous vient cet intérêt pour ce type de films ?

C’est vraiment le cinéma avec lequel j’ai grandi, qui dès très jeune m’a fascinée, parce que justement il m’amenait en-dehors de la réalité quotidienne. Je m’ennuyais dans le vrai monde, je ne me sentais pas forcément à ma place, et là où je vivais des trucs géniaux c’était dans les films, j’ai grandi avec Star Wars, Indiana Jones, tous ces univers qui étaient complètement ailleurs, et qui permettaient de vivre des aventures incroyables. Après, à l’adolescence, j’ai découvert des univers plus noirs, les films de Cronenberg, David Lynch, Verhoeven… qui arrivaient aussi à manier cet ailleurs, d’autres univers alliés à des thématiques plus sombres, dont j’ai commencé à me sentir plus proche.

Image, couleurs, lumière, musique… vous avez apporté un grand soin à I’aspect stylistique de votre film…

Dès le début de l’écriture, ça a été un élément constitutif du film ; quand j’écris, j’ai besoin de trouver l’histoire, mais surtout quel va être l’univers du film, la mise en scène, l’univers visuel, sonore… Je modèle quelle va être l’intention visuelle qui va définir l’identité du film. Je savais que le film allait être violent, je ne voulais pas que cette violence soit totalement réaliste, sadique, malsaine, je voulais qu’elle soit extrême, décomplexée, mais qu’elle ait une forme de puissance opératique. Avoir cet univers visuellement très fort, où on s’extrayait d’un réalisme terre à terre, permettait de mettre un filtre avec cette violence et de la rendre supportable.

« Je me suis amusée avec les stéréotypes »

Venue jusque dans les Vosges, la douce actrice américaine Matilda Lutz se transforme en guerrière dans "Revenge".
Venue jusque dans les Vosges, la douce actrice américaine Matilda Lutz se transforme en guerrière dans « Revenge ».

Vous utilisez un certain nombre de clichés, dont la fille sexy, et c’est encore à la femme que vous faites croquer la pomme…

Complètement, c’est s’amuser avec tous ces symboles très forts qui, malgré les évolutions, sont encore très à l’œuvre dans la société, très ancrés. Je me suis vraiment amusée à jouer avec tous ces stéréotypes, la pomme, les symboliques du féminin, du masculin, des symboles associés à la virilité comme les voitures, les motos, les fusils, j’ai aimé joué avec ces symboles et les twister complètement.

Votre prochain film sera encore un film de genre ?

Pour moi, le genre est un spectre très large qui n’est pas dans la réalité quotidienne, qui amène dans un ailleurs, je vais rester là-dedans parce que c’est dans ça que je me sens inspirée très fortement, et surtout ça permet d’aller loin dans la folie des personnages, c’est ça qui me plait, pouvoir pousser à l’extrême les personnages dans leurs retranchements, avec ce côté cathartique et très jouissif qui va se retrouver dans le prochain, d’une manière totalement différente.

Vous avez le sentiment qu’il sera plus facile à produire et financer grâce à l’écho que « Revenge » a déjà eu, avant même sa sortie ?

Oui, c’est sûr. C’était un pari loin d’être gagné, avec ce genre de films, c’est très compliqué, mais le film a vraiment eu un retentissement, un écho, il a rencontré quelque chose dans le public, dans le métier aussi. On a beau faire tout ce qu’on veut pour tout contrôler, la dernière chose qui nous échappe c’est comment le film va être reçu. Là, effectivement, j’ai la chance que cette alchimie se soit faite, et ça change tout, ça permet justement de ne plus être handicapée par certains registres ou genres. On va bénéficier de ce crédit de confiance en tant que réalisateur, qu’on ne peut pas avoir pour le  premier long-métrage, ça permet de continuer à faire des propositions innovantes, à explorer différentes formes de films, c’est ce qui me plait et je sens déjà la différence pour la suite.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Revenge », un film de Coralie Fargeat, avec Matilda Lutz (sortie le 7 février).

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