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Donald Trump, meilleur artisan de la montée du nationalisme iranien

La presse iranienne déchaînée contre Trump (capture Euronews)
La presse iranienne déchaînée contre Trump (capture Euronews)

Clément Therme, École des Hautes Études en sciences sociales (EHESS)

Le 13 octobre 2017, la décision annoncée par le Président Trump de ne pas renouveler la certification du respect de l’Accord sur le nucléaire de 2015 (JCPOA) par la République islamique d’Iran pourrait être le début de la fin du soft power des États-Unis en Iran. En effet, la capacité des États-Unis de convaincre les Iraniens du bien-fondé de leur nouvelle stratégie iranienne va se heurter à plusieurs obstacles.

La première erreur stratégique du Président américain a bien été d’utiliser le terme de « golfe arabique » au lieu de « golfe persique ». Cela a d’autant plus suscité la colère des Iraniens que, dans la première partie de son discours, Donald Trump relève que « le peuple iranien aspire à se réapproprier sa glorieuse histoire, sa culture, sa civilisation, sa coopération avec ses voisins ». Or, pour le peuple iranien, le golfe « persique » est une part inséparable de son histoire et de sa civilisation.

Une image datée de l’Iran

Au-delà de l’usage d’un terme géographique impropre, le discours du Président des États-Unis a surtout été perçu en Iran comme anachronique et décontextualisé. En effet, la manière dont Trump a décrit l’Iran est particulièrement datée. Il a évoqué une image de l’Iran correspondant à la période de la première décennie révolutionnaire marquée par la Première Guerre du Golfe (1980-1988) sans prendre en compte la transformation socioculturelle du pays depuis 38 ans (lire, à ce propos, Politics and Culture in Contemporary Iran d’Abbas Milani et Larry Diamond).

Par ailleurs, le refus de certifier l’accord sur le nucléaire populaire auprès de l’opinion publique iranienne a redonné du crédit au discours des éléments les plus conservateurs à Téhéran sur les États-Unis, dans la continuité de l’idéologie khomeyniste. Autrement dit, le discours partial et biaisé du Président américain pourrait provoquer une régression en Iran vers un anti-américanisme primaire rappelant celui des premières années de la Révolution islamique. Le Guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei a, notamment, déclaré que la volonté de Trump de renvoyer l’Iran 50 ans en arrière était la preuve de son « arriération mentale ».

Mais derrière cette nouvelle confrontation rhétorique entre les deux pays, les élites politiques iraniennes sont convaincues que la question technique du nucléaire n’est qu’un prétexte pour Washington utilisé pour mettre en place une politique non pas de « changement de comportement » (behaviour change) mais de « changement de régime » (regime change) depuis l’étranger.

La nouvelle stratégie globale de Washington

Les deux parties s’accusent donc mutuellement de ne pas respecter l’Accord sur le nucléaire. Ces accusations sont la traduction politique d’une véritable crise de confiance dans les relations diplomatiques depuis l’arrivée à la présidence états-unienne de Donald Trump, il y a près d’un an. Du côté iranien, la crainte est forte de perdre les bénéfices escomptés par la signature de ce compromis, même si les États-Unis ne sortent pas explicitement et juridiquement de l’Accord. En effet, du côté américain, on dénonce désormais avec une véhémence accrue le programme balistique iranien et la politique régionale de Téhéran.

Cependant, ces questions se situent au-delà du champ du JCPOA qui, rappelons-le, est un accord de non-prolifération nucléaire. Le fait que ces problématiques soient désormais au centre de la nouvelle stratégie – globale – de Washington vis-à-vis de l’Iran constitue, en creux, une critique qui s’adresse plus à l’ancienne Administration démocrate qu’à l’Iran en tant que tel.

Quoi qu’il en soit, la nouvelle crise de confiance entre Washington et Téhéran augmente les risques d’une confrontation militaire dans le golfe Persique. En effet, si les États-Unis adoptent de nouvelles sanctions contre les Gardiens de la Révolution (pasdaran), Téhéran menace quant à lui de placer l’armée américaine sur sa liste des organisations terroristes. Or le général-brigadier Jazayeri a récemment déclaré que « des centaines de milliers de forces américaines sont présentes dans la région » et que si ces forces américaines « vont trop loin » dans la région, notamment dans le golfe Persique, la « République islamique se confrontera à elles ».

L’une des différences entre l’Administration américaine actuelle et la précédente se retrouve dans leur stratégie respective vis-à-vis du peuple iranien. Avec une réussite certaine, le Président Obama prenait soin de bien distinguer la population du régime, en citant par exemple le poète Hafez dans son discours pour la nouvelle année iranienne. En revanche, la vision de Trump qui réduit l’Iran au statut de « régime voyou » de la République islamique renforce les sentiments nationalistes des Iraniens qui, de leur côté, déplorent la nouvelle lune de miel entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, le rival régional de Téhéran.

Les craintes d’une société iranienne très dynamique

Les incertitudes et l’annonce de la nouvelle stratégie iranienne de l’Administration Trump ont déjà eu des effets négatifs sur l’économie iranienne : la monnaie nationale (le rial) a été dévaluée et un taux d’inflation à deux chiffres est réapparu (même si cette hausse est également liée à l’augmentation des exportations de pétrole de l’Iran).

Sur les réseaux sociaux iraniens, on a assisté à une campagne contre le tweet du ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif au lendemain du discours de Trump :

« Aujourd’hui, les Iraniens – garçons, filles, hommes, femmes – sont tous des Gardiens de la Révolution ; se tenant fermement avec ceux qui nous défendent ainsi que la région contre l’agression et la terreur. »

Les Iraniens ont répliqué en expliquant qu’être contre le Sepâh (l’armée des gardiens de la Révolution) ne signifie pas pour autant soutenir un projet de guerre de Washington contre l’Iran. En effet, la propagande officielle utilise l’hostilité de Washington face à l’Iran pour contrer tout mouvement de contestation interne. Un slogan très utilisé sur Telegram et Twitter en langue persane est apparu : « Man sepâhi nistam » (« Je ne suis pas un gardien de la Révolution »). Les citoyens ont ainsi affirmé leur opposition aux guerres régionales de l’Iran et leur combat contre le régime autoritaire à l’intérieur du pays. Face au risque d’un accroissement des tensions irano-américaines, la société civile iranienne, d’une très grande vitalité, veut éviter d’être victime de la répression politique interne croissante justifiée par la rhétorique officielle à propos de « l’ennemi américain ».

« La ruse Macron »

Si l’on en croit la propagande de la République islamique, la volonté ultime des États-Unis serait de détruire l’Iran en se focalisant sur son programme de missiles et sa politique régionale. Il s’agirait de nouveaux moyens pour parvenir à un même objectif, à savoir le changement de régime. Dans ce contexte, il sera plus difficile pour le Président Rohani de mettre fin, comme il le souhaitait, à la tradition révolutionnaire qui consiste à scander des slogans à la fin des prières du vendredi telles que : « Mort à l’Amérique ! », « Mort à Israël ! », « Mort à l’Angleterre ! » ou « Mort aux Al-Saud ! ». Dans le même temps, les plus conservateurs des islamistes iraniens défendent l’idée selon laquelle l’accord sur le nucléaire a apporté une hostilité accrue des États-Unis contre l’Iran en lieu et place de la levée attendue des sanctions.

Enfin, la perception en Iran sur le rôle émergent des pays européens comme possibles protecteurs de l’Accord n’est pas univoque. Le Guide suprême encourage les Européens dans leur défense de l’Accord, et les met en garde contre toute tentative d’alignement sur Washington à propos du programme balistique iranien et de la politique régionale de Téhéran.

Les conservateurs estiment de leur côté que les Européens et les Américains sont les deux faces d’une même pièce : ils estiment ainsi que la France joue désormais le rôle du good cop et les États-Unis celui du bad cop. C’était l’inverse pendant la période Obama-Sarkozy-Hollande. Makr Makron (la ruse Macron) : c’est avec ce jeu de mots que le journal ultraconservateur Vatan-e emrouz (La patrie d’aujourd’hui) faisait sa « une », le 24 octobre dernier.

Libéralisme persan

Enfin, les islamistes situés au centre de l’échiquier politique espèrent que les réseaux d’affaires européens seront en mesure de continuer à promouvoir une nouvelle vision de l’Iran en tant que pays émergent. En effet, dans la plupart des capitales européennes, l’Iran est perçu comme un pays d’avenir en raison de son marché inexploité, de sa classe moyenne et de sa diaspora cosmopolite.

Face à la nouvelle stratégie iranienne de Washington, la République islamique peut certes mobiliser les sentiments nationalistes de la population pour justifier le manque de résultats sur le plan économique. Mais, dans le même temps, l’existence d’un libéralisme persan pourrait susciter une demande au sein de la population en faveur de davantage de changements sociaux et pour une responsabilité politique accrue des élites s’agissant de la redistribution de la rente pétrolière.

The ConversationEn définitive, là où il n’y a pas de débat en Iran, c’est bien à propos du caractère imprévisible de l’Administration Trump et de son incapacité ou de son refus à renforcer le soft power des États-Unis en Iran.

Clément Therme, Research fellow, École des Hautes Études en sciences sociales (EHESS)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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